Dans un contexte de surcharge informationnelle, la fatigue cognitive s’impose aujourd’hui comme un enjeu central dans la formation. Comment éviter d’épuiser inutilement les apprenants sans pour autant appauvrir les contenus et réduire leur engagement ? Nos conseils.

S’adapter à la charge mentale de chaque apprenant

La fatigue cognitive n’est pas un concept vague, mais une réalité observable liée au « capital d’implication » des apprenants. « Il s’agit d’une « bande passante » cognitive qui varie d’un individu à l’autre et, pour une même personne, d’un jour à l’autre. Le manque de sommeil, les préoccupations personnelles, le stress constituent un bruit cognitif qui occupe une partie de cette bande passante », explique Stéphane Ginocchio, enseignant permanent au Collège de Paris et conférencier en neurosciences. Concrètement, plus ce « bruit » est élevé, moins le signal pédagogique est audible, ce qui réduit la capacité d’apprentissage indépendamment de la motivation ou des compétences. Intégrer cette réalité évite d’attribuer les difficultés d’attention à un défaut de motivation.

Varier les formats pédagogiques

Si les entreprises ne peuvent pas contrôler les facteurs externes à l’origine de la fatigue cognitive — comme les distractions constantes des réseaux sociaux ou les préoccupations personnelles —, elles ont en revanche la possibilité d’agir sur les facteurs internes. « Ces derniers concernent les volumes des contenus de formation, leur pertinence, leur niveau d’interactivité, le suivi managérial des acquis… Il faut redonner le goût d’apprendre, en construisant des formats variés et en donnant du temps à la formation de qualité », explique Carole Vendé, VP People chez Edflex.

Réduire les efforts cognitifs inutiles

Les séances de formation peuvent être organisées de manière à éviter les efforts cognitifs superflus. « Par exemple, les informations gagnent à être structurées en blocs cohérents reliés par un fil logique clair, avec des rappels réguliers des notions clés. Lorsque le contenu est désorganisé ou trop dense, l’apprenant doit consacrer une partie de son énergie mentale à faire le tri, ce qui accroît la fatigue cognitive », souligne Stéphane Ginocchio. Une organisation des contenus pédagogiques par grappes, une narration logique ainsi que des rappels, en début de cours, de notions clés vues précédemment facilitent la mémorisation et réduisent l’effort inutile.

Ajuster la difficulté en fonction de la nouveauté et du public

Il est conseillé de concevoir les objectifs pédagogiques en tenant compte du niveau de départ et de la nouveauté des notions abordées. « Tout ce qui est nouveau fatigue davantage, ce qui impose de rendre les objectifs réellement atteignables. Une difficulté excessive, même dans un cadre d’apprentissage favorable, finit par produire une saturation et rend l’apprentissage inefficace », ajoute-t-il. La connaissance des personnes que l’on forme, l’expérience pédagogique et une certaine souplesse dans le déroulé permettent d’ajuster le tempo et la densité des contenus en fonction de la situation réelle. Il faut aussi éviter d’imposer des formations sans en expliquer les finalités. « L’idée est de miser sur la communication afin que les apprenants comprennent comment la formation va pouvoir s’inscrire dans leur développement individuel », souligne Carole Vendé.

Installer des conditions psychologiques favorables

Un bon formateur doit mettre ses apprenants dans une situation de sécurité psychologique. Il est ainsi recommandé de respecter les limites biologiques de l’attention, notamment en intégrant des pauses régulières (quelques minutes toutes les deux heures). « La réduction du stress et l’instauration d’une sécurité psychologique sont essentielles. Par exemple, toute évaluation doit être annoncée clairement à l’avance, avec des attentes explicites. Car l’effet de surprise génère du stress et nuit directement à l’apprentissage. Un cadre clair et une écoute bienveillante favorisent l’engagement et protègent la bande passante mentale. »

Utiliser l’IA pour déléguer les tâches fastidieuses

Enfin, les enseignants peuvent permettre aux apprenants de déléguer aux outils technologiques tout ce qui relève de la charge inutile, comme la prise de notes exhaustive, tout en les encourageant à préserver l’effort de compréhension et de structuration personnelle. « L’IA peut réduire la fatigue cognitive si elle soutient la logique humaine », indique-t-il. Il faut toutefois se rappeler que l’IA devient contre-productive lorsqu’elle remplace l’acte même de comprendre et de relier les idées. Une étude menée par des chercheurs américains sur 54 étudiants a d’ailleurs montré que les usages des IA génératives pouvaient engendrer un engagement cognitif réduit, notamment moins d’activité dans les zones du cerveau liées à la mémoire de travail, à la planification et à la métacognition. Prudence, donc.