L’intelligence artificielle s’immisce partout : dans les gestes quotidiens, dans les pratiques d’enseignement, mais aussi, de plus en plus, dans la conception même des ressources éducatives. Dans ce contexte, le salon Educatech Expo, qui s’est déroulé cette semaine à Paris, a accueilli, dans le cadre d’une table ronde, six intervenants pour éclairer ces mutations.
Au-delà des outils d’IA, c’est toute une réflexion sur la conception, la mutualisation et la durabilité des ressources éducatives qui s’ouvre désormais dans le monde de l’éducation. L’enjeu est d’imaginer des dispositifs d’IA plus sûrs, mieux adaptés aux besoins de terrain dans une logique de partage et d’ouverture. « Quand on parle d’IA, on parle d’outils de génération de contenus qui reposent sur des modèles de langage entraînés sur des volumes immenses de données dont on ignore souvent l’origine, le traitement ou les biais. C’est précisément cette opacité qui pose problème dans le champ éducatif », a expliqué Mélanie Pauli-Harquevaux, coordinatrice de la Chaire UNESCO RELIA (Ressources Éducatives Libres et Intelligence Artificielle) à Nantes Université.
Les REL : un contre-modèle aux biais
Selon elle, c’est là que les ressources éducatives libres (REL) offrent un contre-modèle : un numérique ouvert, transparent et durable permettant d’imaginer des modèles de production mêlant intelligence artificielle, transparence des données, intelligence collective et souveraineté. « C’est par exemple le cas de Florilège, une plateforme francophone de ressources où l’IA est utilisée pour la curation automatique des REL. L’IA y a été plus rapide que l’humain, mais l’humain est resté garant de la validation. » Une illustration, selon elle, du bon usage des nouvelles technologies : l’IA aide, l’humain reste le décideur. Cet exemple illustre concrètement comment l’IA peut être intégrée de manière responsable dans l’éducation. « L’arrivée, en 2022, des IA génératives a bouleversé les pratiques scolaires et soulève de nouvelles questions sur l’équilibre entre innovation technologique et pédagogies traditionnelles. Elles ont en particulier perturbé deux gestes structurants : les devoirs et l’évaluation », indique Vincent Montreuil, doyen du groupe Expertise disciplinaire et pédagogique STI. Pour lui, l’école ne peut ni ignorer l’IA ni s’y abandonner. « Elle doit construire un modèle intermédiaire, pragmatique, qui l’intègre au bon endroit, pour les bonnes raisons. Cela passe par la formation des élèves et des enseignants, la création d’espaces d’échanges dans les établissements et la pérennisation d’outils fiables », ajoute-t-il.
Un cadre d’usage pour l’éducation
Le ministère de l’Éducation cherche justement à éviter deux écueils : l’enthousiasme naïf et la nostalgie réactionnaire. « D’où l’importance du Cadre d’usage de l’IA en éducation, publié en juin, qui définit ce qu’il est possible de faire avec l’IA, notamment dans l’évaluation et les usages en classe et hors classe. Le professeur reste central, l’élève encore davantage », souligne Axel Jean, chef du bureau du soutien à l’innovation numérique et à la recherche appliquée à la DNE. Plusieurs projets concrets et conformes à ce cadre d’usage ont émergé depuis sa publication. Caroline Mauze, cheffe de département de la formation continue pour le ministère de l’Éducation en Polynésie française, a par exemple décrit la création d’un livret d’activités pédagogiques intégrant l’IA générative et destiné au primaire, au collège et au lycée. « Trois usages intéressants ont été expérimentés. En mathématiques, les élèves ont pu recourir à l’IA pour résoudre un problème en vue de confronter leurs résultats avec le cours. Pour la langue polynésienne, l’IA, insuffisamment entraînée, est devenue un outil pour développer l’esprit critique et la valorisation de la culture locale. Enfin, dans le premier degré, nous avons utilisé des chatbots pré-paramétrés pour offrir un accompagnement personnalisé dans l’écriture. »
Intégrer la compréhension de l’IA dans toutes les disciplines
L’importance de former les élèves et les enseignants sur le fonctionnement, les biais et les impacts sociétaux de l’IA est ainsi un enjeu de taille. « L’objectif n’est pas de créer une discipline spécifique, mais d’intégrer une compréhension de l’IA dans toutes les disciplines afin de former des citoyens et de futurs concepteurs conscients de ces enjeux », a ainsi souligné Léo Briand, fondateur de Vittascience et vice-président de l’Afinef. Le projet MathAData (ENS et Collège de France) s’inscrit dans cette logique : il propose des challenges d’IA pour les lycéens. « Les élèves travaillent sur des données à analyser, reproduisent certains processus d’une IA mais avec leurs outils mathématiques habituels. Cela permet de comprendre les concepts de base (reconnaissance de chiffres, analyse de données) de manière concrète et progressive. Les enseignants, de leur côté, peuvent utiliser ces défis pour enseigner l’IA de manière pratique et faire progresser les élèves dans la maîtrise des données et des algorithmes. L’approche est aussi collaborative : les ressources créées sont partagées sur la plateforme de communs numériques Capytale », a expliqué Nicolas Poulain, chef de projet Capytale à l’Académie de Paris.
