Pour recréer du lien entre la nature et les élèves, l’organisation de temps scolaires en dehors de l’enceinte de l’école peut se révéler avantageuse. Interview croisée de Cécile Pacchiana-Rossi, cheffe du bureau de l’innovation pédagogique à la Dgesco, et de Christophe Caron, directeur de projet « numérique et forme scolaire » au ministère de l’Éducation nationale.

Comment définissez-vous la classe dehors ?

Cécile Pacchiana-Rossi : Faire classe dehors est une pratique héritée du XIXe siècle et née dans les pays du Nord. Elle répond à la volonté des enseignants d’être, avec leurs élèves, en lien avec la nature et de l’utiliser comme support d’apprentissage. Il est défini aujourd’hui comme une pratique d’enseignement régulière qui se tient dans un espace naturel et culturel proche de la classe afin de minimiser les temps de déplacement. Il n’est donc pas question de « classe transplantée » ou de « classe verte » : il s’agit d’une pratique se tenant dans un espace naturel et qui s’inscrit dans la proximité du lieu d’enseignement habituel. En France, trois académies sont particulièrement impliquées dans cette démarche : Besançon et Clermont-Ferrand en raison de la richesse de leurs espaces naturels et Paris, où il existe une volonté de reconnecter les élèves avec la nature.

Quels sont les atouts de cette démarche ?

Cécile Pacchiana-Rossi : Nous observons un intérêt fort des enseignants pour la dimension physique et sensorielle de cette approche, en particulier depuis la crise du Covid-19. Le bénéfice de l’enseignement en plein air réside dans la possibilité de raviver le lien sensoriel de l’élève à la nature. Il permet également de susciter des collaborations et des interactions plus spontanées entre les élèves et de leur permettre de révéler leurs aptitudes psycho-sociales de manière plus naturelle que dans la classe, où les activités sont plus normées. Toutefois, il ne s’agit pas de décorréler « l’école dedans » et « l’école dehors » mais plutôt d’établir une complémentarité entre ces deux approches. Par ailleurs, la classe dehors n’est pas plus chronophage pour l’enseignant qu’une autre démarche de projet pédagogique. Elle est à penser de la même manière que l’organisation d’ateliers ou de classes flexibles.

Comment les enseignants appréhendent-ils ce format de classe ?

Christophe Caron : Les enseignants cherchent de plus en plus de solutions visant à impliquer davantage les élèves en perte d’appétence pour l’école. De ce fait, faire classe dehors leur ouvre de nouveaux horizons : ils peuvent travailler avec d’autres supports pédagogiques et reconsidérer l’espace scolaire comme un espace élargi intégrant l’extérieur. Ce qui était, auparavant, la cour de récréation ou le dehors peut ainsi devenir un espace de travail. Cette approche permet également aux enseignants qui ne seraient pas à l’aise avec le numérique de l’intégrer différemment : ils peuvent, plutôt que des écrans, mobiliser des appareils photo, des enregistreurs ou encore des microscopes électroniques afin de garder des traces de leurs sorties scolaires pour ensuite les importer dans la classe et les utiliser comme des matériaux permettant de consolider les apprentissages.

Toutes les disciplines peuvent-elles être concernées ?

Cécile Pacchiana-Rossi : Bien sûr. L’idée est de travailler de manière transverse,  que ce soit au sein d’une même discipline, dans une approche interdisciplinaire, ou dans le contexte de l’éducation au développement durable qui est par nature transversale. Quand on pratique l’école dehors, cela ouvre des opportunités pour travailler des disciplines comme les mathématiques : promenades géométriques faisant pratiquer le lexique associé, révision de concepts de figures planes, etc. L’enseignant dispose ainsi de sa liberté pédagogique pour définir ses objectifs et prévoir, en conséquence, le séquençage pédagogique de sa pratique de l’enseignement en dehors de la classe.

Qu’est-ce que ça suppose pour les enseignants ?

Christophe Caron : Il existe deux visions en la matière : soit on considère la nature comme un support d’apprentissage, soit comme un nouvel espace à investir, où il est possible de travailler plusieurs disciplines. Cela suppose néanmoins de repenser l’espace extérieur, qui peut être aussi bien un parc ou un espace de l’établissement scolaire, en termes d’aménagement dans le but de sortir de l’idée de l’espace extérieur comme espace de défouloir pour les élèves. C’est là qu’il devient possible d’y travailler de manière collaborative ou avec des temps d’isolement, de lecture… Divisé en micro-zones, un espace extérieur de travail doit former un tout où plusieurs types d’activité sont possibles dans le cadre d’une pédagogie de projet.