Dans un livre paru début septembre intitulé « Formation professionnelle, la nouvelle lutte des classes », Antoine Amiel, fondateur de Learn Assembly, partage quelques pistes pour améliorer les dispositifs de formation, qu’il juge trop opaques. Interview.  

Qu’entendez-vous par « lutte des classes » en matière de formation ?

Nous traversons une période d’accroissement des inégalités sociales depuis la fin des Trente Glorieuses : l’accès au logement est de plus en plus difficile, la précarisation des classes moyennes progresse… On le voit notamment avec l’arrivée de l’intelligence artificielle générative, qui produit une polarisation du marché du travail. Il existe un risque que l’on revienne en arrière, c’est-à-dire à une société découpée en deux classes et marquée par des conflits sociaux importants. L’éducation n’échappe pas à ce processus. Dans ce contexte, la formation a un rôle majeur à jouer. Sa promesse fondamentale, en tout cas en France, est de réduire les inégalités sociales en permettant à chacun d’avoir accès à la formation tout au long de la vie. Il s’agit d’un moteur d’ascension sociale en même temps que d’un outil de performance économique pour les entreprises.

La formation est-elle concernée par le phénomène de lutte des classes ?

Une récente étude du Cereq montre que le taux d’accès à la formation professionnelle est dépendant de la taille de l’entreprise. Quand on regarde les chiffres, le taux d’accès à la formation professionnelle est d’environ 80 % dans les grands groupes internationaux. Dans les TPE, la réalité est bien différente : en 2021, seules 25 % des TPE et 62 % des entreprises de 10 à 49 salariés ont formé au moins un de leurs salariés via des cours ou des stages. Quant aux ouvriers, ils ont accès à la formation professionnelle en raison d’obligations réglementaires (comme le Certificat d’aptitude à la conduite en Sécurité d’engins spécifiques). Cela donne l’illusion qu’ils se forment beaucoup. Cette inégalité d’accès s’explique notamment par l’illisibilité des dispositifs publics de formation. Beaucoup ignorent ce qu’est un conseil en évolution professionnelle (CEP), un projet de transition professionnelle (PTP)… Dans ce cadre, la thèse du livre est de défendre une logique d’amélioration continue des dispositifs de formation, en procédant à une sorte de « choc de simplification ». C’est d’autant plus important que la France est l’un des seuls pays au monde à faire de la formation l’un des piliers de son contrat social.

Par exemple, quelles pistes préconisez-vous ?

À l’ère de l’IA générative, il est indispensable de booster les compétences et la maîtrise des nouveaux outils technologiques. La formation est un levier pour réduire la fracture numérique. D’ailleurs, la France a la chance d’avoir un tissu EdTech engagé en la matière. Il faut ainsi aider cette filière à se développer en lien avec les organismes de formation et les opérateurs publics. La question de la souveraineté numérique et de protection des données exige la création d’un véritable écosystème numérique européen et français. Il s’agit de sortir de la situation d’oligopole des outils américains. Enfin, la plupart des personnes ne savent pas identifier leurs besoins de formation, ni l’organisme susceptible d’y répondre. Ce travail d’identification est une compétence qu’il faudrait développer. Pour simplifier les démarches trop complexes d’accès à la formation, je préconise la création d’une sorte de « carte vitale de la formation » que tous les financeurs pourraient abonder : France Travail, l’entreprise, voire le salarié lui-même…