Le numérique éducatif permettra-t-il, demain, de réduire la fracture éducative déjà existante ? Une question complexe tant les enjeux sont multiples. Et à laquelle ont tenté de répondre des experts de l’éducation, à l’occasion d’une table ronde organisée dans le cadre de l’université d’été Ludovia#18.
Bien avant l’apparition de la crise du Covid-19, la question de la mise en œuvre de l’éducation sociale et inclusive à l’école grâce aux nouvelles technologies faisait déjà débat. Mais la fracture numérique, fortement liée à la fracture sociale, continue de susciter des incertitudes. Les acteurs publics comme les entreprises privées tentent d’apporter des réponses pour que l’éducation poursuive la mission qui a toujours été la sienne : accompagner l’émancipation des citoyens de demain.
Le rôle des institutions publiques
C’est le cas de la Banque des territoires, qui soutient et accompagne les porteurs de solutions éducatives inclusives. Julie Stein, chargée de projets PIA (Portail intranet académique) à la Banque des territoires, souligne l’utilité sociale de plusieurs projets, comme la Grande École du Numérique, réseau de formations labellisées qui permettent à des jeunes d’être formés aux métiers du numérique. En 2020, plus d’un quart des 15 000 apprenants de l’école était composé de jeunes issus de quartiers prioritaires. Le numérique peut donc répondre à des enjeux sociaux. Mais il ne faut pas en occulter la dualité : « il peut creuser les fractures déjà existantes et 13 millions de Français restent concernés par l’exclusion numérique », alerte-t-elle. L’école à distance imposée par la crise du Covid-19 a d’ailleurs dévoilé les fractures que peut engendrer le numérique puisque les décrocheurs, lors du basculement des enseignements à distance, étaient 6 fois plus nombreux à être issus de milieux défavorisés. « C’est donc dans les territoires qu’émergent les projets d’innovation les plus prometteurs. Pour les accompagner, nous avons lancé l’appel à projets ‘Numérique Inclusif, Numérique Éducatif’, qui vise à les aider à passer à l’échelle », ajoute-t-elle.
Améliorer l’accessibilité numérique
En plus d’équiper tous les élèves, les acteurs de l’éducation ont encore des chantiers à mener. Laetitia Branciard, ingénieure de recherche à l’ENSFEA (École nationale supérieure de formation de l’enseignement agricole), pointe par exemple l’impératif de la formation des enseignants en matière d’usages et d’accompagnement des élèves présentant des troubles de l’apprentissage. « La création d’un access lab à l’ENSFEA entend répondre à cette problématique. Ce double espace en ligne et en présentiel permet aux enseignants de manipuler et voir à l’œuvre des outils d’accessibilité numérique conçus pour renforcer l’autonomie des élèves en difficulté », indique-t-elle.
Principe de parcimonie
25 % des enseignants interrogent le numérique à l’école et considèrent qu’il pourrait « artificialiser ou anesthésier certaines activités pédagogiques », selon Antonin Cois, conseiller en stratégie et développement des organisations de l’ESS et des politiques publiques. Selon lui, le numérique peut être social si trois éléments sont respectés : le principe de parcimonie (n’utiliser un dispositif numérique que lorsqu’il apporte une plus-value pédagogique), établir des alliances (entre acteurs publics et privés pour co-construire des contenus éducatifs à la hauteur des enjeux) et, enfin, l’association de tous les acteurs éducatifs dans le champ de gouvernance du secteur.
Un point de vue partagé par Philippe Ajuelos, adjoint au sous-directeur de la transformation numérique à la DNE (Direction du numérique pour l’éducation), qui estime que l’outil numérique au service de l’apprentissage est à privilégier lorsque la formation classique n’a pas su répondre à des questions comme la personnalisation de l’apprentissage pour des enfants à besoins particuliers. Le programme TED-i (Travailler Ensemble à Distance et en Interaction), au sein duquel le ministère de l’Éducation nationale a mis un système de téléprésence robotisé à disposition des établissements pour les élèves gravement malades, a pu répondre à cet enjeu. Par ailleurs, « pour la rentrée 2021, le ministère de l’Éducation travaille sur une feuille de route qui prévoit l’accompagnement des élèves non dotés d’ordinateurs avec une force de frappe de 9000 PC. L’idée est de ne laisser personne au bord de la route », explique-t-il.
Quelles réponses des EdTech ?
« L’ADN des EdTech est éminemment social », soutient Anne-Charlotte Monneret, directrice générale d’EdTech France. Elles donnent la possibilité d’inclure dans le monde de l’éducation des profils d’élèves différents (décrocheurs, dyslexiques…). En France, le secteur est en plein essor puisque plusieurs solutions comme Learn&Go, Plume, Mathia, LearnEnjoy, et d’autres pouvant détecter les troubles de l’apprentissage ont été développées. Mélanie Viénot, présidente de Projet Voltaire, explique que l’outil en ligne de remise à niveau en langue française inclut des fonctionnalités adaptées aux DYS. La start-up propose également des tiers-temps supplémentaires et édite des sujets en braille. Autre exemple : Leanova, start-up qui diffuse des contenus éducatifs et culturels accessibles à tous avec ou sans connexion. Elle travaille notamment avec le Secours populaire français via le projet KIOSKSOLIDAIRE, qui propose aux personnes accueillies par l’association une banque de 70 000 ouvrages.
Les exemples foisonnent. Mais pour Anne-Charlotte Monneret, les porteurs de projets ont besoin d’un cadre de RGPD plus clair afin que les solutions françaises puissent mieux accéder au marché. Par ailleurs, « l’accès à la ressource numérique pour l’enseignant a besoin d’être fluidifié car la chaîne de décision entre le prescripteur, l’acheteur et l’utilisateur final d’une EdTech est encore atomisée », soutient-elle. Enfin, la dynamique régionale de co-construction doit être davantage soutenue. D’où l’importance de la démarche d’EdTech France consistant à créer des hubs régionaux, dont le rôle est de mieux pénétrer le terrain en allant à la rencontre des formateurs, des enseignants, des présidents d’universités et des familles.