Numérique éducatif, travaux collaboratifs en classe, approche par compétences… Ces notions sont-elles vraiment nouvelles ? Qu’apportent concrètement les outils numériques ? Comment doivent-ils être utilisés ? Les éclairages d’André Tricot, professeur de psychologie cognitive et auteur de plusieurs ouvrages dont « Apprendre avec le numérique : mythes et réalités ».
Comment s’est développé le numérique éducatif en France ?
Bien que la crise du Covid-19 ait posé de nouvelles questions en matière de numérique dans l’apprentissage, ce sujet est ancien. Les EdTech existent en réalité depuis les débuts de l’informatique personnelle. Elles ont ensuite connu un grand envol à partir des années 1980, avec l’arrivée du multimédia, puis avec le déploiement du web, du e-learning et des LMS. Contrairement au tourisme, le monde de l’enseignement intègre l’innovation par les outils numériques au travers d’un processus progressif et lent. Ce processus a connu des effets de mode. Certains outils, comme le serious game, ont montré assez peu d’utilité. La vague des MOOC, qui ont connu un vif succès au début des années 2010, est également vite retombée. Leur usage actuel est bien plus parcimonieux. L’apparition d’un outil qui semble révolutionnaire finit toujours, dans les universités, par laisser la place à un usage correspondant à certains besoins, pour certaines personnes et dans certaines situations.
Selon vous, comment peut-on mesurer l’efficacité d’un outil numérique ?
Un outil ne doit être déployé que s’il répond à des besoins spécifiques. Par exemple, les quizz en ligne sont très utiles pour certaines disciplines qui nécessitent l’auto-évaluation et des retours immédiats et personnalisés. Leur usage doit donc s’orienter vers les apprentissages qui peuvent se réaliser par un entraînement via des systèmes de questions/réponses. C’est la même chose pour la réalité virtuelle, qui n’apporte de réels bénéfices qu’à certains modes d’apprentissage complexes (tests d’installations industrielles dangereuses, pilotage d’avions…). Une tâche comme l’écoute doit, pour sa part, être réalisée en présentiel car les interactions qui lui sont spécifiques (identifier les élèves distraits par exemple) sont impossibles à répliquer sur les plateformes de visioconférence. Il faut ainsi, technologie par technologie, identifier celle qui bénéficie réellement à l’apprentissage, selon sa nature.
Comment les enseignants peuvent-il identifier les « bons » outils ?
Le numérique ne change rien aux fondamentaux du métier d’enseignant, qui demeure axé sur la conception de la bonne pédagogie. En l’occurrence sur la définition de l’objectif de l’enseignement, de ce que les élèves devront avoir appris à la fin du cours, de la manière dont il peut leur faire franchir les étapes de l’apprentissage… Ce n’est qu’ensuite que les outils numériques prendront leur place, tout en restant subordonnés au plan pédagogique. Si l’objectif est d’apprendre aux élèves à produire une bonne rédaction, il devient utile, à un moment donné, d’utiliser un logiciel de traitement de texte. Selon ce point de vue, les enseignants doivent acquérir une grande culture technologique pour identifier le meilleur outil pédagogique. L’accompagnement des enseignants aux usages numériques prend toute son importance. Aujourd’hui, les enseignants reproduisent souvent les schémas qu’ils ont connus lorsqu’ils étaient étudiants. Les cellules d’innovation pédagogique ont pour rôle de les émanciper de ces contraintes limitantes et d’encourager le libre choix des nouvelles approches qu’ils imaginent.
Dans votre ouvrage « L’innovation pédagogique », vous analysez certaines idées reçues…
Certains concepts sont plus anciens qu’il n’y paraît. Par exemple, l’approche par compétences, qui consiste à coupler la réalisation d’une tâche et, pour y parvenir, l’utilisation d’une connaissance et des savoir-faire, existe depuis l’antiquité ! Introduire le débat et la collaboration en classe est également une pratique très ancienne. Comme l’est la pédagogie par projet, qui était pratiquée au sein de l’Académie royale d’architecture. Ces modes d’enseignement restent néanmoins excellents puisqu’ils obligent les professeurs à être précis dans la définition de leurs objectifs. De manière générale, l’enseignement intègre les mêmes tâches et a peu évolué au cours du siècle dernier. Ce qui est nouveau, c’est l’équilibre entre les tâches (comme par exemple la résolution de problèmes, qui prend désormais plus de place que l’écoute passive) et l’apparition de nouveaux outils.