Apparu dans les années 2010, le « snack learning » propose d’apprendre en très peu de temps. Ce format court est censé accompagner l’évolution de la société alors que l’attention se fragmente. Pourtant, sa valeur réside moins dans sa brièveté que dans la manière dont il s’intègre à un parcours d’apprentissage plus large. Explications de Stéphane Diobold, président de l’AFFEN.
Comment définissez-vous le snack learning ?
Le snack learning est un mode d’apprentissage basé sur un temps très court. C’est l’idée qu’on peut apprendre rapidement une compétence, une connaissance… Basée sur la certitude selon laquelle l’apprenant n’est pas prêt à accorder beaucoup d’attention aux contenus, cette notion est censée répondre à un besoin d’accélération, à l’image de la société qui accélère. En France, le snack learning a bien fonctionné : on parlait de twittagogie, de nuggets learning pour transmettre rapidement des compétences simples. Et elle semblait faire écho à ce qu’a démontré le philosophe allemand Hermann Ebbinghaus. Il expliquait qu’on apprend mieux par la répétition espacée, c’est-à-dire en revenant plusieurs fois sur une même notion, à intervalles calculés, pour renforcer la mémorisation. Le problème est que le snack learning suppose d’apprendre dans la dispersion ou par fragments isolés.
Qu’est-ce que le snack learning a vraiment changé ?
Aujourd’hui, on apprend quand on en a envie (dans les transports en commun, les salles d’attente…), on ne suit plus de rituel puisque les journées de formation en présentiel sont de moins en moins adaptées à la société et qu’il est plus écoresponsable de déléguer la transmission de connaissances aux outils numériques. L’arrivée de l’intelligence artificielle a, elle aussi, bousculé les façons d’apprendre : avec ChatGPT, les apprenants ont un formateur chez eux 24 heures sur 24. Les contenus de formation sont de plus en plus libérés et gratuitement offerts sur le web. Résultat : ce qui compte aujourd’hui, ce sont les bons contenus, plus que l’accès en soi. Pour autant – et contrairement aux idées reçues – les apprenants continuent de réclamer du présentiel et sont prêts à accorder un temps long à ce qui suscite véritablement leur intérêt. Les formats longs gagnent aussi en popularité. Ce n’est pas un retour en arrière, mais une réponse à la saturation : le format long permet d’approfondir, de nuancer, de proposer un récit dont les apprenants ont aujourd’hui besoin pour s’engager dans leur formation.
Comment conjuguer accélération de la société et ancrage de la formation dans un temps plus long ?
Le problème est moins le snack content que l’usage qui en est fait. Souvent, on délivre une information sous un format de trois à quinze minutes, en la confondant avec la formation. Or, le format court n’a de sens que lorsqu’il enclenche quelque chose : une action, une discussion… Le snack content se révèle ainsi utile lorsqu’il est déployé dans les communautés apprenantes. En partant d’une courte capsule vidéo, le formateur libère la parole, réveille des idées et fait de la pairagogie. Ici, il faut veiller à ne pas émietter le savoir en vue de maintenir une certaine cohérence dans les temps de formation. Les formateurs doivent également garder en tête que les tutos de trois minutes ne permettent pas la consolidation des savoirs. Les apprenants ont, au contraire, besoin de narration. L’idée est donc d’égrener une histoire en snack contents dans une expérience d’apprentissage plus globale.
Concrètement, comment les formateurs peuvent-ils intégrer cette idée dans leurs approches ?
Les formateurs peuvent par exemple construire un territoire d’apprentissage en créant un univers, une identité de métier et en parlant le langage de leur public (un langage de managers, par exemple). Ils peuvent également miser sur la pairagogie en partant des besoins de leur groupe, des difficultés vécues. Ainsi, ils feraient émerger des questions en vue de construire collectivement une réponse. Cela suppose que le formateur devienne un animateur agile et accompagne sans savoir à l’avance comment la séance va évoluer. Dans tous les cas, il doit être capable de susciter l’attention, de mettre en place une pédagogie narrative pour construire du sens, que ce soit par le slow content ou le snack content – à condition que ce dernier soit perçu comme un outil mis au service d’un projet plus large.
Avez-vous des exemples concrets ?
Les formations ne doivent pas se contenter de répéter des concepts – comme « comment mieux écouter ses collaborateurs ? » – de façon abstraite. Elles doivent se baser sur des apprentissages immersifs, comme, en management, la synergologie : apprendre à observer les micro-signaux des personnes pour détecter si elles mentent, s’ennuient ou s’intéressent à ce qu’on dit. Ce type de méthode rend l’apprentissage captivant, car on découvre quelque chose de nouveau dans ses interactions. Il développe aussi des compétences pratiques (ici, la performance managériale et l’intelligence émotionnelle). Enfin, ce type d’approche renforce l’identité professionnelle, en donnant aux participants une fierté et un sens à leur métier. Ce qu’il faut aussi garder en tête, c’est que les apprenants veulent apprendre ensemble, dans une logique d’horizontalisation de la formation.
