Certains acteurs de la formation affichent un optimisme excessif vis-à-vis des intelligences artificielles, notamment génératives. Leur déléguer certaines tâches à valeur ajoutée nous expose pourtant à un risque d’atrophie de nos connaissances. C’est en tout cas la conviction d’Arthur Dénouveaux, directeur de cabinet au sein du groupe d’assurance mutualiste Covéa.

Vous considérez que les apports de l’IA sont largement surévalués. Pour quelle raison ?

Je pense qu’il existe un parallèle entre l’IA et la micro-informatique : elle va devenir indispensable et il est important de savoir l’utiliser quand il le faut. Pour autant, ce n’est pas parce qu’on dispose d’un PC connecté qu’il ne faut plus organiser de réunions physiques. Et dans le monde du travail, une entreprise doit parler à son client. Or, on nous promet qu’à plus ou moins court terme, l’IA va pouvoir le faire de manière efficace une fois que l’on aura résolu ses problèmes d’hallucination, qu’elle sera capable de délivrer des messages fiables avec des éléments de langage qu’on lui aura délivrés. Sauf que souvent, le client s’adresse à une entreprise pour des raisons intangibles. Chez Covéa par exemple, nous observons que l’assurance ne passionne pas l’assuré et que ce dernier nous parle assez peu. Cela veut dire que nos échanges avec lui sont porteurs de valeur en raison de leur rareté. Dans ce cadre, je ne suis pas sûr que mettre un client face à une IA puisse le fidéliser.

Vous rejetez donc l’idée que l’IA puisse un jour remplacer certaines compétences…

Dans les rapports humains, notamment commerciaux, entre une entreprise et ses clients, il y a des éléments qui relèvent d’autre chose que du pur échange d’informations. Dire qu’il n’y aura plus de téléconseillers demain relève d’une utopie dont veulent nous convaincre certains cabinets de conseil et éditeurs de logiciels. Malgré l’apparition du e-commerce, il existe pourtant encore des magasins brick and mortar ! Je pense donc que l’IA ne fera que prendre en charge un bout de la relation client, en complétant les autres modes d’interaction fondés sur la compréhension et l’empathie propres aux humains. Il y a donc un équilibre à trouver pour répondre aux besoins du client, mais également à ceux du collaborateur en interne, qui ne peut certainement pas se contenter d’échanges avec des chatbots pour évoluer dans une entreprise.

Qu’en est-il du monde de la formation ?

L’IA, notamment générative, pose la question du savoir-faire. Dans une entreprise comme dans un établissement d’enseignement, il y a un patrimoine de savoir immatériel appelé à évoluer avec les avancées de la recherche. Si on confie à l’IA la mission de transmission des savoirs, on perd en savoir-faire, et on confie tout progrès possible à l’IA, qui devient, par défaut, le sachant. Cela revient à penser que l’IA parviendra à faire des progrès, ce dont je ne suis pas convaincu. La vision hyper-optimiste de l’IA consiste à dire qu’elle peut être dotée d’une conscience et de créativité. En réalité, elle n’est douée qu’en matière de recomposition de savoirs. C’est donc une sorte de Google amélioré. Par conséquent, il faut continuer à apprendre aux jeunes à réfléchir. Dans les cursus scolaires, il est important qu’un certain nombre d’épreuves soient réalisées sans recours à ChatGPT. L’essentiel, c’est que l’outil se mette au service d’une ambition pédagogique, qu’il n’atrophie pas les connaissances.

Comment traduisez-vous votre vision de l’IA en matière de politique de formation au sein du groupe Covéa ?

Nous sommes en phase d’expérimentation. Nous avons mis à disposition un LLM, alimenté par un corpus de savoirs internes, pour tous les collaborateurs sur le web. Mais en faisant en sorte que les données sensibles (sur nos plans stratégiques par exemple) ne sortent pas du périmètre de Covéa. Auprès de certaines populations de collaborateurs, nous expérimentons un outil aidant à la rédaction d’e-mails, à résumer des textes… En parallèle, nous avons mis à disposition des ressources en vue d’une acculturation globale à l’IA, ses apports, les manières d’écrire de bons prompts… Pour les collaborateurs qui vont être amenés à utiliser l’IA dans leurs missions, nous avons également mis au point des formations spécifiques dans le cadre de notre plan de formation. Pour l’instant, nous nous en servons pour développer ce que nous appelons le « collaborateur augmenté ». Nous explorons d’ailleurs des cas d’usage intéressants en matière d’assistance, avec des outils capables de rooter automatiquement les millions d’appels et de mails que nous recevons chaque année.