Renforcement des compétences numériques des élèves, accélération des usages du numérique éducatif… Alors que le ministère a publié, fin janvier, sa Stratégie du numérique pour l’éducation 2023 – 2027, que pense la filière EdTech des grandes orientations qui ont été fixées par l’État ? Les réponses de Deborah Elalouf, VP Éducation et secrétaire générale d’EdTech France.

Quelle est votre réaction à la Stratégie du numérique pour l’éducation ?

De façon générale, notre association est sensible aux enjeux défendus par la doctrine du ministère en matière de sécurité numérique, de souveraineté, d’éthique et d’interopérabilité, qui est un thème cher aux EdTech. La stratégie du numérique pour l’éducation met l’accent sur ces éléments, ainsi que sur l’amélioration des expériences d’usage des enseignants. Le fait que l’on se soucie de la simplicité d’accès des enseignants aux services numériques nous semble très important. Ces priorités, associées au fait que l’on dispose maintenant de cadres d’usages plus clairs, sont précieuses à la fois pour les acteurs de l’éducation et pour les EdTech. En tant que coordinatrice de « Safer Internet France », qui est le volet français du programme « Safer Internet » de la Commission européenne, je me réjouis de voir qu’une éducation au numérique développant les compétences et la citoyenneté soit au cœur de la stratégie du ministère.

Quelles mesures retenez-vous de cette éducation au numérique ?

Une action globale, tout au long de la scolarité, est prévue. C’est surtout au niveau du collège que seront déployées des actions visant à renforcer les compétences numériques des élèves, à prévenir les risques d’usage et à initier les jeunes à la découverte des métiers du numérique. Au lycée, un plan d’action pour l’attractivité des spécialités numériques, en priorité en direction des filles, sera également mis en œuvre. Nous en sommes ravis car la promotion de la mixité, l’initiation à la programmation tôt dans le cycle scolaire, l’éducation critique au numérique sont des actions que nous appelons de nos vœux depuis plusieurs années. Si le Conseil supérieur des programmes est encore attendu pour préciser les modalités pour la rentrée 2024, le cap semble être clairement affirmé.

Qu’en est-il, concrètement, de l’amélioration de l’expérience des enseignants ?

C’est un axe important. On y voit l’intention de simplifier l’accès aux ressources d’une part, de veiller à l’équilibre entre matériel, investissement dans les ressources et formation des enseignants d’autre part. Il est important que les enseignants puissent s’appuyer sur une offre numérique éducative facile d’accès et liée à des formations et de l’accompagnement. C’est le cas dans le cadre de dispositifs qui ont été mis en place, comme les Territoires Numériques Éducatifs, qui commencent à être déployés. Il y a donc une intention de lier les ressources, la formation, les territoires et différents opérateurs de l’État comme Réseau Canopé. Toutefois, il y a beaucoup d’améliorations à apporter en termes opérationnels. Dans ce cadre, des démarches de concertation auront lieu, dans les prochains mois, entre les institutions et la filière EdTech.

Cette stratégie est-elle favorable à la filière EdTech ?

Il nous semble important de préciser les rôles respectifs alloués à l’État (c’est-à-dire à ses opérateurs, aux start-up d’État…) et aux acteurs privés EdTech éditeurs de ressources numériques. Aujourd’hui, cette distinction reste encore un peu floue. On pourrait même s’inquiéter de la nature de certains des services envisagés par le ministère, notamment pour ce qui concerne les « communs numériques de l’État » qui font du ministère un opérateur de services susceptible, sur certains sujets, d’entrer en collision avec des services déjà proposés par des EdTech. Cela pourrait avoir des effets négatifs : d’une part, une dépense budgétaire consacrée à la conception de solutions numériques déjà existantes et, d’autre part, le risque que le ministère privilégie ses propres outils au détriment de ceux que développe la filière. Nous appelons à préciser clairement le périmètre des EdTech.

Selon vous, de quoi a besoin la filière EdTech ces prochaines années ?

Elle a besoin de plus de visibilité pour l’avenir. Par exemple, dans le cadre des TNE, la coopération entre différents acteurs et le déploiement de ressources numériques à l’échelle de 12 départements sous l’égide de Réseau Canopé sont très prometteurs. En revanche, nous ne savons pas encore clairement quelle sera, dans les prochaines années, la place de la filière au sein de ces dispositifs. Nous ne savons pas non plus si une pérennisation des offres EdTech dans l’écosystème éducatif est envisagée. Et nous attendons avec enthousiasme la mise en place, prévue dans le cadre de cette stratégie, du dispositif « compte ressource », qui donne plus de marge de manœuvre aux enseignants et aux établissements pour choisir leurs propres ressources. Nous attendons maintenant d’en savoir davantage sur les modalités de sa mise en place.