Porter un regard sur les conditions d’accès à la sphère scolaire dans les autres pays. Voilà une manière, pour la filière EdTech française, de réfléchir aux moyens d’améliorer la collaboration entre les EdTech et les pouvoirs publics, notamment locaux. Éclairages.

Selon une étude réalisée en 2023-2024 par la Banque des Territoires, EdTech France et EY-Parthenon, près de deux tiers des EdTech possédaient des activités à l’international ou envisageaient de le faire en 2024. Les EdTech ont donc un intérêt à comprendre le fonctionnement des marchés à l’international, ne serait-ce que pour « s’inspirer d’autres pratiques tout en revendiquant le savoir-faire français », a expliqué Orianne Ledroit, DG d’EdTech France, dans le cadre d’un webinaire organisé le 17 janvier avec la Banque des Territoires. Reste que les conditions de marché ne sont pas toujours réunies pour le faire.

« La France est la championne de l’expérimentation des bons outils, par exemple via le P2IA. En revanche, sa difficulté est de ne pas réussir à créer les conditions d’un véritable marché pour les EdTech », pointe Marie-Christine Levet, fondatrice d’Educapital, premier fonds européen dédié aux EdTech. Et pour cause : ces entreprises sont soutenues par des subventions. Mises à part les entreprises dont les solutions sont comprises dans les ENT, les EdTech vivent de contrats de courtes durées, ce qui n’aide pas à construire des business plans. Les ENT sont d’ailleurs, avec l’édition scolaire, le seul marché créé en France avec les « conditions normales d’un marché » et des appels d’offres.

Une nécessité de peser sur les décisions publiques

Pour les EdTech tricolores, cette particularité est un frein. Car pour qu’elles puissent briller à l’international, elles doivent au préalable avoir réalisé de bons chiffres d’affaires localement.  « Il y a donc une nécessité de pouvoir peser sur les décisions publiques et de rencontrer les acteurs publics locaux, qui peuvent être une force motrice. Si nous n’avons pas la capacité de tout régler, nous disposons de leviers qui peuvent être mobilisés pour apporter les réponses attendues par les enseignants, les élèves et leurs parents », explique François Blouvac, responsable Éducation, inclusion numérique et services au public Banque des Territoires.

Les dispositifs de financement et d’expérimentation du P2IA et de France 2030 sont par exemple salués par les acteurs puisqu’ils ont permis de financer des projets. Tant que ces financements sont présents, ils permettent de créer un appel d’air avec des sommes considérables. Mais se pose ensuite la question de réabonder ces financements. « Aujourd’hui, beaucoup d’EdTech indiquent avoir des clients potentiels parmi les collectivités, qui souhaitent mettre en place des expérimentations, mais sans être capables d’offrir des solutions de financement supplémentaires. C’est problématique pour les EdTech en phase de démarrage. Il faut donc une régulation du financement d’expérimentation », assure-t-il.

Une plus grande liberté dans les autres pays d’Europe ?

Kokoro, une EdTech française qui dispose d’une structure en Suisse, est intégrée à l’association suisse EdTech Collider, qui a été fondée par des professeurs de l’École polytechnique fédérale de Lausanne. « Cela nous a permis d’avoir accès à un banc de test parmi les écoles. Nous avons pu recueillir des retours d’usage des lycées et des universités », raconte Nathalie Lesselin, fondatrice.

Autre source d’inspiration pour la filière française : les pratiques institutionnelles qui structurent la sphère scolaire italienne. « En Italie, il existe des Istituto Comprensivo. Ce sont des complexes scolaires incluant des écoles maternelles et élémentaires ainsi que des collèges. Notre lancement dans ce pays a été possible parce que ces structures, bien que disposant de peu de moyens, ont beaucoup d’autonomie de choix pédagogiques, d’outils… Grâce à ces complexes, il n’est pas obligatoire pour un entrepreneur de s’adresser à la commune », souligne Bernat Portell, Head of Learning Strategy d’Innovamat, une solution espagnole d’apprentissage des mathématiques qui n’a pas réussi à s’installer en France.

La stabilité du marché américain

Aux États-Unis, il existe des « school districts », des regroupements d’écoles dirigés par un school board localement élu. « Le superintendant, qui est nommé par le school board, dirige son school district et dispose d’un budget. Lorsqu’un school district a besoin de renouveler ses solutions numériques par exemple, il lance un appel d’offres », explique Laurent Jolie, co-fondateur de Lalilo. Toutefois, dans ce cadre, il existe une pléthore de concurrents et des standards de qualité élevés. « Il faut ainsi être en mesure de se différencier, de mettre en valeur la spécificité de sa solution. Mais cela génère une émulation saine qui pousse à se dépasser », indique-t-il.

Toutefois, l’obstacle majeur pour les EdTech françaises reste le manque d’autonomie des acteurs de l’éducation. L’une des solutions serait de créer un « compte ressources ». Ce dernier fait déjà l’objet d’un projet du Ministère de l’Éducation Nationale dans le cadre de sa stratégie du numérique pour l’éducation 2023-2027. Sa vocation serait de garantir à la communauté éducative une offre numérique raisonnée, pérenne et inclusive. « La mise en place d’un compte ressources serait la possibilité donnée à l’enseignant, dans toute sa liberté pédagogique, de pouvoir disposer d’une somme d’argent lui permettant d’acquérir une solution sur un marché organisé », conclut-il.