S’il n’est pas encore atteint, l’objectif du gouvernement exprimé par Gabriel Attal en août 2023 de former les enseignants totalement en dehors des temps scolaires suscite des contestations au sein de la profession. En plus d’empiéter sur leur temps de repos, cette mesure risque d’avoir des répercussions sur les élèves.

Afin de réduire le nombre d’heures de cours perdues par les élèves, le gouvernement a fixé comme objectif, en août 2023, que la formation continue des enseignants soit réalisée à 100 % en dehors des temps de classe pour l’année 2024-2025. S’il n’est atteint qu’à environ 70 % à l’heure actuelle, cet objectif est contesté par les syndicats, les enseignants et les formateurs, qui y voient une possible fin de la formation. C’est le cas de Françoise Cahen, professeur de lettres en lycée qui a démissionné de son poste de formatrice académique, qu’elle a occupé pendant 10 ans. « Je ne vois pas pourquoi les enseignants seraient les seuls à devoir se former en dehors des temps de travail. D’autre part, je suis particulièrement engagée pour l’égalité homme-femme. Or, on sait que les formations qui se déroulent en vacances ou le soir désavantagent les femmes. C’est un point d’inquiétude, voire de révolte ».

Une désaffection pour le métier d’enseignant

Depuis des années, le métier d’enseignant est touché par une crise des vocations en raison de conditions de travail difficiles. Placer la formation hors de temps de classe constituerait une régression supplémentaire sur des droits acquis. « Nos salaires sont bloqués : nos points d’indice n’avancent pas, alors que l’inflation est énorme », rappelle Claire Doz, professeure de français au lycée Paul Valéry et formatrice. « Cette réforme vient dégrader encore plus nos conditions de travail. Ce n’est pas comme cela qu’on va rendre le métier plus attractif », pointe Françoise Cahen. D’autre part, cette mesure amènera les enseignants à se former en ligne. Selon certains d’entre eux, les formations à distance, en plus d’être morcelées, ne favorisent pas l’échange entre pairs. « Je ne suis pas dans la condamnation caricaturale de la formation en ligne, mais il ne faut pas en encourager la généralisation car cela risquerait d’accroître le sentiment d’isolement. J’ai moi-même animé plusieurs webinaires à l’académie de Créteil. Même en cherchant à insuffler de l’interactivité, j’ai souvent constaté que plus de la moitié des participants ne donnaient pas signe de vie pendant la séance », assure-t-elle.

Diminuer les absences des enseignants est « un prétexte »

Ce qui risque de devenir un impératif gouvernemental est présenté comme un moyen d’abaisser le nombre d’heures perdues de « face-à-face pédagogiques ». Un prétexte visant à faire accepter cette réforme, selon Françoise Cahen : « Une absence de deux jours par an et par enseignant ne porte pas préjudice aux élèves. Le problème, c’est le non-remplacement des enseignants qui s’absentent pendant un mois pour des raisons de santé », affirme-t-elle. Reste que pour Gabriel Attal, qui fait suite à un référé de la Cour des comptes, « le système actuel basé sur le remplacement est coûteux ». Un argument que n’entendent pas les enseignants. « Les élèves ne tirent que des bénéfices des temps de formation des enseignants. Cela leur permet d’avoir face à eux des enseignants à qui on a donné des exemples concrets d’activités pédagogiques innovantes qu’ils vont pouvoir répercuter en classe. La solution, c’est le recrutement d’enseignants remplaçants », affirme ainsi Claire Doz.

Vers la fin de la formation des enseignants ?

Cette volonté de former en dehors des temps scolaires signe-t-elle la fin de la formation continue des enseignants ? « Beaucoup de formations sont en tout cas annulées depuis l’annonce de cet objectif puisqu’il n’est pas possible d’en ouvrir pour seulement 5 participants, par exemple. Je pense que l’on se dirige vers la mort de la formation », regrette Claire Doz. Pour elle, se former hors temps de travail revient également à consacrer moins de temps à préparer les séquences pédagogiques. « Il faut aussi rappeler que les professeurs ont des temps de travail de plus en plus importants chaque année, qu’ils consacrent par exemple à l’auto-formation. Ils se documentent, cherchent des exemples d’activités sur Internet, visionnent des vidéos sur des sites institutionnels… Ces temps d’auto-formation ne sont absolument pas valorisés. »

Une urgence de former les enseignants à l’IA

Avec l’apparition de l’intelligence artificielle, les élèves ont plus que jamais besoin d’être accompagnés aux usages. Devant ce constat, les enseignants expriment eux-mêmes un besoin de formation aux nouvelles technologies. « Les pratiques des élèves évoluent plus rapidement que celles des enseignants. Il y a nécessité à les former pour qu’ils puissent éduquer leurs élèves à la culture de l’intelligence artificielle. Or, beaucoup d’entre eux ne pourront pas se présenter aux heures de formation proposées. Comment alors cultiver des pratiques responsables auprès d’élèves exposés à des outils complexes ? », s’interroge-t-elle.