Les learning analytics font beaucoup parler d’eux, notamment pour leur potentiel supposé de personnalisation des apprentissages. Mais qu’en est-il réellement ? Pour Matthieu Cisel, enseignant-chercheur à l’université CY Cergy, ce n’est pas tant les apprentissages que les activités réalisées par les étudiants qui sont traçables, ce qui ne permet pas de savoir ce qu’ils ont retenu.

Comment définissez-vous les learning analytics ?

Personnellement, j’utilise le terme de « traces » ou d’« analytics de l’apprentissage » puisqu’il s’agit de suivre l’activité des étudiants sur des dispositifs d’apprentissage numérique. En effet, lorsqu’ils naviguent et qu’ils réalisent des actions sur une plateforme, ils laissent des tracesenregistrées sur des serveurs. Le terme « analytics » renvoie, quant à lui, à l’exploitation de ces traces pour en tirer de l’information sur le processus d’apprentissage car, sur la base de ces analyses, on peut déduire des éléments sur l’investissement des apprenants et leur processus d’apprentissage. Ces informations sont facilement accessibles via des tableaux de bord interactifs qui proposent des visualisations permettant de donner du sens aux traces d’interaction des étudiants avec les ressources.

Quel type de données ces « traces » délivrent-elles ?

Il s’agit de données comme l’heure à laquelle les étudiants se connectent sur une plateforme, les contenus qu’ils consultent, le temps qu’ils passent à les étudier… Dans ces cas-là, elles ne sont pas précieuses pour l’enseignant. Elles ont également l’inconvénient de porter une dimension de « flicage ». Il peut toutefois être très utile de voir si tel ou tel étudiant a consultéles consignes d’un devoir ou s’il l’a réalisé. Par ailleurs, quand un étudiant indique à son professeur qu’il a beaucoup étudié sur une plateforme mais que ce dernier remarque, via ses tableaux de bord, que ce n’est pas le cas, cela introduit de l’honnêteté dans les interactions, ce qui est une bonne chose. Globalement, les learning analytics sont, à ce stade, surtout utilisés pour observer l’assiduité réelle des étudiants. Autrement dit, les traces ne montrent que ce que l’apprenant a fait, non ce qu’il a appris.

Existe-t-il toutefois des cas où les « traces » se révèlent utiles ?

Oui, lorsque le professeur opère un zoom à l’échelle individuelle et obtient le journal de bord du travail d’un individu et de sa dynamique de travail. Mais ce type d’opérations est très chronophage et reste peu réalisé par les enseignants. L’usage des learning analytics à des échelles plus larges est également intéressant. Personnellement, je les utilise le plus souvent à l’échelle d’un groupe d’étudiants pour observer la dynamique des processus d’engagement. Si je constate qu’une partie de la classe ne se connecte plus aux réunions en ligne, c’est qu’il y a un problème. Je m’en sers pour l’orchestration de l’activité globale de la classe et comme outil de mesure de l’engagement des étudiants. Cela permet ainsi de savoir s’il y a une utilisation des ressources numériques, donc d’avoir une estimation du « retour sur investissement » des activités pédagogiques.

Les learning analytics sont souvent présentés comme un moyen d’individualiser les apprentissages. Qu’en est-il réellement ?

C’est seulement lorsqu’on les observe à une échelle individuelle que les learning analytics permettent de personnaliser les apprentissages. Pour moi, elles restent une forme d’individualisation de la surveillance de l’assiduité. Par ailleurs, la fonction des learning analytics dépend de la fonction du dispositif d’apprentissage. Par exemple, dans une logique d’activités prescrites, c’est-à-dire de parcours d’apprentissage fixés par l’enseignant, leslearning analytics permettent d’observer l’écart entre ce qui est prescrit et ce qui est réellement réalisé par les étudiants. Dans une logique d’éducation non prescrite, c’est-à-dire si on « lâche » les étudiants sur une plateforme et qu’ils ont la liberté de suivre les cours qu’ils choisissent, les learning analytics permettent d’avoir une idée sur leur engagement spontané et leurs activités d’apprentissage. C’est dans ce dernier cas qu’une certaine forme d’individualisation des apprentissages est possible. Néanmoins, les dispositifs à construire pour que les learning analytics puissent servir à coller au plus près des besoins de chaque étudiant sont très complexes, et l’usage des traces pour individualiser les apprentissages est, à ce stade, très peu fréquent en raison du temps de travail supplémentaire qu’il exige.

Selon vous, comment leur usage évoluera-t-il dans les prochaines années ?

Il peut évoluer dans le bon sens à certaines conditions. À ce stade, ce qui pose problème est le manque de formation des enseignants. Il existe un danger de mauvaise utilisation et de mauvaise interprétation des learning analytics, qui pourrait induire des inégalités de notations préjudiciables pour les étudiants. Il faut également considérer le risque que les étudiants, s’ils comprennent qu’ils sont notés par rapport aux learning analytics, puissent artificiellement gonfler certains indicateurs (qui sont sans lien avec les apprentissages réels) pour améliorer leurs évaluations.