« Le numérique suscite de meilleures dynamiques de classe », Vanessa Lalo

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Que l’on soit parent d’élève ou professeur, accompagner un jeune dans une appropriation saine et raisonnée du numérique n’est pas une mince affaire. La maîtrise des outils, les contextes d’utilisation et la connaissance des enjeux sont autant d’éléments qui doivent guider ce processus, selon Vanessa Lalo, psychologue spécialisée dans les pratiques numériques.

Le numérique est-il perçu différemment depuis la crise du Covid-19 ?

Bien qu’ils entretiennent une préoccupation permanente concernant le temps passé sur les outils et la qualité des contenus, les parents d’élèves sont aujourd’hui convaincus que le recours aux solutions numériques éducatives est essentiel. Ce qu’on peut remarquer empiriquement, c’est qu’il existe, trois ans après le début de la crise sanitaire, une prise de conscience que les outils peuvent être un vecteur d’éducation, un moyen d’accès à la culture et de maintien du lien social. Il existe toutefois une problématique : ce sont les parents d’élèves appartenant aux couches socioéconomiques supérieures qui, en raison notamment d’un phénomène de relai de fausses études, entretiennent encore une idée de dangerosité du numérique. Par conséquent, ils ne cherchent pas toujours à positionner le numérique d’une manière neutre et raisonnée auprès de leurs enfants.

Comment les adultes peuvent-ils, justement, accompagner les plus jeunes aux usages ?

Ce qu’il faut qu’ils gardent à l’esprit en matière de balance bénéfices/risques, c’est que ce sont l’éducation, les contextes d’utilisation et la qualité des contenus qui, au-delà des durées d’exposition, cultivent des rapports sains et raisonnés au numérique chez les jeunes. Je pense qu’une manière de les accompagner serait de s’approprier soi-même certains outils et ainsi d’être en mesure de leur proposer les contenus les plus pertinents. Ces derniers ne seraient pas nécessairement « scolaires », mais ils doivent stimuler la curiosité et l’intérêt de l’enfant pour l’apprentissage. L’objectif serait que les plus jeunes, une fois qu’ils ont développé des usages éclairés, parviennent à évoluer par eux-mêmes par rapport à des contenus qui ne sont pas forcément en adéquation avec ceux que leurs parents voudraient choisir pour eux.

Quel devrait être le rôle des enseignants dans ce processus d’accompagnement ?

Tous les adultes doivent converger vers un meilleur accompagnement des enfants dans le numérique. Les parents d’élèves, les enseignants, les personnels de l’éducation doivent ainsi être capables de protéger les plus jeunes des risques d’usage tout en leur faisant explorer les opportunités du numérique. À partir du collège, il est important que les jeunes soient accompagnés par des adultes qui disposent déjà de bibliothèques de ressources numériques. Parmi ces dernières peuvent figurer des comptes Instagram ou TikTok intéressants à suivre, des chaînes YouTube instructives… C’est aussi une manière de « noyer » les requêtes des jeunes dans les algorithmes et de faire en sorte qu’ils puissent tomber à l’avenir sur des contenus de qualité. Dans tous les cas, il est essentiel de ne pas laisser les enfants se perdre dans des contenus de façon isolée et de leur proposer des ressources alternatives par rapport à celles qu’ils se partagent entre eux, par exemple.

Quid du rôle de l’école ?

Le rôle de l’école est avant tout de réduire les fractures puisque tous les élèves n’ont pas les mêmes pratiques, ni les mêmes équipements personnels. Si l’on souhaite favoriser l’égalité des chances, il faudrait que l’établissement puisse proposer des espaces où le numérique est utilisé par tous et dans un même cadre. D’autre part, je dis souvent aux enseignants soucieux des injonctions qu’on leur donne d’investir le numérique qu’il existe plusieurs manières de l’utiliser en classe : en consultant avec les élèves des vidéos YouTube qui complèteraient les leçons, en faisant parfois appel à des jeux vidéo… S’ils manquent de temps, ils peuvent également se saisir des ressources en ligne mutualisées et déjà expérimentées par leurs pairs. Ils peuvent, enfin, exploiter les codes des pratiques numériques répandus chez les jeunes : les hashtags, les mèmes… pour synthétiser des éléments de cours par exemple. Emprunter ces codes d’usage peut être un moyen de les engager dans les apprentissages.

Pensez-vous que le numérique puisse être un vecteur de bien-être chez les enseignants ?

Les professeurs ne sont pas tous formés aux enjeux du numérique et ne disposent pas tous des mêmes conditions matérielles et techniques d’enseignement dans leur établissement scolaire. Mais il est évident que le numérique peut être un vecteur de bien-être chez ceux qui souhaitent prendre le temps de préparer des séquences pédagogiques en amont. Lorsque c’est le cas, le professeur parvient, grâce à des pédagogies plus interactives et plus différenciées, à réduire le phénomène du décrochage, à ne pas faire perdre de temps aux élèves les plus en avance… Tout cela suscite de meilleures dynamiques de classe ainsi qu’un sentiment d’épanouissement professionnel très important pour un enseignant qui pourrait, à un moment de sa carrière, se poser la question du sens de son métier. Il se sent davantage à sa place et peut-être plus utile dans son rôle de transmetteur et d’accompagnant.

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