L’apparition des nouvelles technologies a-t-elle vraiment remodelé les manières d’apprendre ? Selon Denis Cristol, consultant en apprenance collective et chercheur en sciences de l’éducation, l’intelligence artificielle offre un grand potentiel d’exploration de nouveaux savoirs. Mais à condition de pouvoir aussi se reconnecter au vivant.

Comment le rapport au savoir a-t-il évolué ces dernières années ?

Durant la crise planétaire du Covid-19, nous avons tous été confrontés à des formes d’enfermement qui ont conduit une grande part de l’humanité à faire preuve de réflexivité et à apprendre à s’adapter. Que nous soyons doués ou pas, nous avons tous dû nous mettre à la technologie pour communiquer avec nos proches. Cela a accéléré la démocratisation de l’apprentissage à distance. C’est dans ce cadre général, qui a aussi poussé les individus à se poser des questions existentielles, que le rapport au savoir a commencé à évoluer. L’apparition plus récente de l’intelligence artificielle, notamment générative, fait elle aussi apparaître une transformation du rapport au savoir. Cela est dû au pouvoir de l’IA de mettre directement les apprenants au contact de contenus d’une grande variété, mais surtout de leur donner la possibilité de modeler ces contenus puisqu’il est possible de transformer du texte en image, de l’image en son, du son en vidéo…

Le rapport des enseignants au savoir est-il lui aussi impacté ?

Les enseignants et les formateurs étaient réputés pour leur maîtrise des contenus. Or, avec l’IA générative, il est possible de les rendre accessibles à une variété d’acteurs qui en étaient démunis, et sous une variété de formats, ce qui donne la possibilité de toucher différents publics, de faire de la personnalisation… Les enseignants et les formateurs ne sont plus uniquement des transmetteurs de savoir : ils deviennent des facilitateurs, accompagnant les apprenants dans la découverte, l’exploration et la création de savoirs. Leurs craintes, liées aux risques de triche par exemple, sont tout à fait légitimes, car nous vivons une période de transition où les enseignants doivent apprendre à maîtriser ces nouveaux outils. Il faut toutefois garder en tête que l’IA n’est pas forcément une prothèse, une canne sur laquelle on s’appuie. Elle peut tout aussi bien être une orthèse qui augmente le pouvoir humain. Autrement dit, elle peut être un levier pour amplifier les capacités humaines.

Concrètement, comment peut-on s’en servir comme d’une orthèse ?

L’IA ne doit pas simplement servir à recopier, à automatiser des tâches simples, à restituer un savoir déjà existant et bien connu. Ce serait faire de la « pédagogie fossile ». Elle doit au contraire aider l’ensemble des acteurs de l’éducation à inventer de nouveaux champs créatifs. Le véritable enjeu pour les enseignants sera ainsi de repenser la manière dont ils donnent des devoirs ou des exercices, en se concentrant davantage sur la créativité, la réflexion critique, la formulation de nouvelles questions, plutôt que sur la simple mémorisation de contenus. Ils doivent ainsi interpeler les zones d’ombre qui ne sont pas encore connues en vue de créer de nouveaux savoirs. Il ne faut pas oublier que bien qu’elle soit très sophistiquée, l’IA n’est qu’un algorithme incapable d’éthique, de concevoir de nouveaux concepts, de rêver, d’imaginer, d’extrapoler… Ce sont des pouvoirs humains que nous devons pouvoir développer grâce à l’IA. C’est là où l’enseignant aura un rôle clé à jouer.

Vous défendez également le concept « d’écoformation » en vue de développer de nouveaux rapports au savoir. En quoi consiste-t-il ?

Mon constat est simple : nous ne sommes plus en symbiose avec la nature.  Nous nous contentons de nous adapter à nos environnements ultra-bétonnés et consuméristes. L’écoformation, quant à elle, nous invite à nous recentrer sur des valeurs humaines, la circulation d’énergie dans un groupe, le respect des autres et pas simplement à nous adapter à un métier. Pour traduire cela à la réalité de la classe, je dirais qu’il faut parfois en sortir ! Dans les grandes villes, il y a des espaces verts où les élèves peuvent se reconnecter au vivant. Cela implique cependant de changer nos manières d’enseigner. Il y a une sorte de rigidité dans le système scolaire qui rend les sorties de classe compliquées, que ce soit pour des raisons de responsabilité, de logistique… Pourtant, être en contact direct avec la nature peut transformer l’apprentissage. L’environnement naturel n’est pas saturé par les stimuli artificiels comme les écrans, ce qui permet une meilleure assimilation des connaissances. Les enfants élevés en contact avec la nature ont souvent une approche plus concrète de l’apprentissage. Ils sont plus ouverts, plus connectés à leurs sensations et à leur environnement.