Les EdTech ont redistribué les rôles dans les salles de classe. Les élèves prennent une part de plus en plus active à leur processus d’apprentissage. Le « full distanciel » imposé par la crise du Covid-19 a, pour sa part, questionné la place du professeur dans les nouvelles modalités d’enseignement. Comment son rôle évoluera-t-il dans l’avenir ? Les éclairages d’Anne-Charlotte Monneret, déléguée générale d’EdTech France, et de Sarah Alves, doyenne de la Faculté HDR de l’EM Normandie.
L’arrivée d’Internet a bouleversé le système classique de l’enseignement. L’accès à la connaissance s’est démocratisé et le professeur n’est plus le seul délivreur de savoir. Et si les enseignants étaient déjà habitués à la présence des EdTech dans le présentiel depuis des années, la crise du Covid-19 et la digitalisation complète des enseignements ont constitué une rupture supplémentaire. « À l’EM Normandie, nous proposons depuis des années des tablettes numériques pour les professeurs et les élèves dans l’objectif de créer une « smart école ». La crise du Covid-19 a, quant à elle, fait émerger la « smart école 2 » », illustre Sarah Alves, doyenne de la faculté HDR de l’EM Normandie, dans le cadre d’un webinaire organisé par Wooclap. Cette transformation n’est pas sans conséquence sur le rôle de l’enseignant, qu’il faut repenser.
Réadapter les apprentissages
L’impact des EdTech s’est d’abord traduit par une obligation d’adaptation des modes d’apprentissage. Le passage au « tout distanciel » a permis aux professeurs de comprendre qu’il n’était pas possible de répliquer la classe présentielle sur les plateformes d’enseignement à distance. Ils ont donc désormais besoin d’un temps asynchrone de travail pour préparer leurs cours en amont. Dans ce contexte, les EdTech, qui permettent une meilleure scénarisation pédagogique, « ont été d’un grand support et ont ouvert le champ des possibles », explique Anne-Charlotte Monneret, déléguée générale d’EdTech France.
Raisonner différemment
« Avec les EdTech, le raisonnement du professeur s’opère hors les murs de sa classe. Il doit désormais imaginer différents cheminements d’acquisition de connaissances, faciliter la communication à distance entre les étudiants et devenir un médiateur », indique Sarah Alves. Dans ce domaine, les avantages des EdTech sont nombreux. Ils permettent aux enseignants de s’adapter à l’hétérogénéité des rythmes de leurs étudiants. Les QCM, par exemple, permettent de recueillir rapidement des éléments de réponse permettant aux professeurs de retenir les points sur lesquels ils doivent revenir et, in fine, d’enrichir leurs cours. Les ressources variées dont ils disposent, comme les outils de fabrication de vidéos, insufflent à l’ensemble de la classe un surplus de créativité et de rythme. Par ailleurs, lorsque la pédagogie est mise au cœur de la stratégie numérique, les outils permettent de mettre en place l’enseignement différencié. Celui-ci est d’autant plus important qu’il permet de lutter contre les inégalités, notamment géographiques et sociales. Enfin, le nouveau paradigme de la digitalisation des enseignements doit amener les professeurs à approfondir leur réflexion sur les processus d’apprentissage multicanaux et à « opérer une guidance dans le tri des informations répandues à profusion sur Internet », souligne Sarah Alves.
« Prendre le meilleur des deux mondes »
La recomposition des temps d’enseignement entre, d’une part, présentiel et distanciel et, d’autre part, synchrone et asynchrone appelle les professeurs à optimiser leur action. « Si le présentiel reste essentiel, les enseignants doivent néanmoins y associer la flexibilité du numérique en essayant de prendre le meilleur des deux mondes », affirme Anne-Charlotte Monneret. Mais pour soutenir ce processus de transition, les institutions doivent intervenir, donner aux enseignants les moyens financiers et humains de se former et, pourquoi pas, « prévoir des primes sur les temps de travail supplémentaires », soutient-elle. Des centres universitaires de soutien peuvent, par exemple, proposer régulièrement des ateliers de formation et d’échanges de bonnes pratiques. « Les professeurs pourraient, par ce biais, co-construire de nouvelles approches avec le support des ingénieurs pédagogiques », ajoute Sarah Alves. L’essentiel étant de toujours positionner la pédagogie au centre des préoccupations. Sur la question des enjeux pédagogiques, les EdTech ont d’ailleurs leur rôle à jouer. Pour Anne-Charlotte Monneret, « les entrepreneurs de l’EdTech doivent aller à la rencontre des professeurs, visiter les salles de classe, favoriser les pilotes et les expérimentations, comprendre les spécificités de chaque discipline et, enfin, faire la différence entre les établissements d’enseignement public et les écoles privées. Tout cela en vue de l’amélioration continue du produit ». Une démarche d’autant plus importante que les outils numériques ne fonctionnent efficacement que quand un lien pédagogique de confiance est déjà tissé entre l’enseignant et sa communauté d’apprenants.
Des questionnements en suspens
Les EdTech font néanmoins émerger des inquiétudes. « Les professeurs sont tributaires des conditions techniques dans lesquelles ils travaillent. La question de la fracture numérique se pose donc pour certains professeurs : peuvent-ils perdre de leur crédit s’ils ne maîtrisent pas la technologie alors même qu’ils maîtrisent parfaitement leur discipline ? », demande Sarah Alves. Autre crainte exprimée par les professeurs : voir leur rôle se transformer en celui de formateur technique, puisque les étudiants doivent être guidés dans l’utilisation de certains espaces de travail numériques. Cette transformation du métier génère une tension identitaire qui va amener le professeur à se construire une autre légitimité.