« Les cours se construisent désormais à plusieurs », Thierry Picq (emlyon)

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La notion de collaboration prend de plus en plus de place dans les systèmes d’enseignement. Définie comme l’ensemble des actions permettant de construire des savoirs communs, elle nécessite de mettre le curseur sur la scénarisation et l’expérience étudiant. Les explications de Thierry Picq, professeur, emlyon Business School.

Vous êtes un spécialiste des dynamiques collectives. Comment définissez-vous la « collaboration » ?

Il faut revenir à l’étymologie des termes pour bien les définir. Il est important de distinguer le verbe collaborer, emprunté au latin « collaborare » qui se décompose en cum (« avec ») et laborare (« travailler »), de coopérer, qui vient de co (avec) et opus (œuvre) : créer une oeuvre ensemble. La coopération porteune dimension supplémentaire puisqu’il s’agit de construire ensemble une œuvre ou un projet. Elle renvoie donc à un objectif commun et à une responsabilité partagée. En matière de collaboration, qui est plus ponctuelle, il n’existe pas nécessairement d’objectif commun. Par exemple, un ingénieur pédagogique peut collaborer avec un enseignant en lui donnant des ressources pour construire la trame d’un cours sans forcément le co-construire. En revanche, s’il coopère à l’élaboration d’un cours, il contribue à identifier les moyens à mettre en placepour le déroulé du cours et le co-produit.

Pourquoi la collaboration est-elle aujourd’hui au centre de l’éducation ?

L’apparition des nouvelles technologies nous a fait prendre conscience qu’il était possible d’apprendre autrement. Les modes de production et de consommation des cours ont ainsiévolué et la période où dominait la culture individuelle du professeur disposant d’un territoire protégé est révolue. L’éducation, surtout depuis la crise du Covid-19, se dirige donc vers des dimensions de co-construction. De facto, les cours se construisent désormais à plusieurs : parl’enseignant, mais également par des équipes (digitales, méthodologiques, pédagogiques). De leur côté, les étudiants de la « génération Netflix » ne sont plus obligés d’être en phase de cours pour avoir accès à des contenus. Les professeurs ont donc besoin de développer denouvelles compétences techniques et digitales, ce qui pose des questions en matière de nouvelles pédagogies et d’ingénierie. Faire évoluer les modalités d’enseignement suppose d’aller au-delà de l’expertise du contenu à enseigner et de s’orienter vers une logique d’accompagnement des étudiants pour les aider, par exemple, à adopter un regard critique sur ces contenus qui leur sont facilement accessibles.

L’étudiant est donc désormais au centre de l’éducation…

Oui, les étudiants évoluent dans un monde qui fonctionne désormais en mode réseau et il leur est impossible de ne pas travailler ensemble. D’autre part, la télé-éducation a généré des initiatives collectives visant à transformer les cours de façon à les rendre plus engageants. C’est la raison pour laquelle les professeurs ne peuvent plus s’isoler et qu’ils sont désormais obligés de penser à « l’expérience étudiant », qui est un sujet nouveau. L’expérience éducativedoit sortir de la juxtaposition de cours qui se succèdent. D’ailleurs, de nouveaux acteursapparaissent, comme les assistants pédagogiques, qui sont chargés de suivre la scolarité des étudiants dans le temps, de s’intéresser à leur expérience, y compris pour les orienter professionnellement. Tous ces éléments nécessitent de travailler en mode projet avec des expertises différentes.

Comment rendez-vous tangible cette collaboration à l’emlyon ?

Nous faisons travailler nos étudiants sur des projets ou de la recherche d’informations. Nous nous apercevons qu’ils trouvent des trésors d’informations, des cas d’étude, des ressources. Lorsqu’ils exposent leurs découvertes en classe, tout le monde apprend d’eux, y compris les professeurs. Nous avons en particulier mis en place deux initiatives autour de la notion de « student as a teacher ». La première consiste à identifier des étudiants actifs afin qu’ils assistent leur professeur dans l’élaboration de prochaines éditions de cours. Ensuite, pendant une ou deux séances, ils ont la possibilité d’assurer une partie du cours. La deuxième initiative porte sur un projet mis en place avec une start-up, « We are Peers », développée par l’une de nos étudiantes. Il s’agit d’une plateforme digitale de transmission de savoirs entre pairs. Ces expérimentations ont bien montré que les étudiants étaient de très bons producteurs de connaissances.

Comment la collaboration évoluera-t-elle dans les prochaines années ?

On sait que l’apprentissage est un phénomène social qui nécessite de la confrontation. L’éducation devra donc intégrer toujours plus de dynamiques collectives. À l’avenir, elles auront simplement différents supports (métavers, VR, face-à-face classique, mode projet…). Tout l’art de l’enseignement sera de définir la bonne combinaison de ces dispositifs pour apprendre en continu et faire en sorte que l’apprentissage soit à la fois hybride, individuel et collectif. Nous irons vers cet équilibre avec à chaque fois des scénarios à construire pour que les temps de présence soient riches et inventifs. Le professeur devient ainsi un metteur en scène et un créateur d’expériences. Au final, l’enjeu de la collaboration se trouvera toujours dans la façon dont les étudiants s’approprient les contenus pour en faire quelque chose.

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