Mettre les sciences cognitives au service de la formation, c’est la mission que poursuit Stéphane Ginocchio, professeur permanent au Collège de Paris et spécialiste en neurosciences appliquées. Dans un ouvrage à paraître, il liste plus de 40 exemples de neuro-expériences permettant aux apprenants de mieux connaître leurs biais cognitifs en vue de développer leur intelligence collective. Voici les 5 expériences les plus percutantes.
- « Et si ta respiration ouvrait des portes ? »
Cette expérience propose une immersion corporelle et mentale fondée sur la respiration consciente. Elle peut être menée par un formateur à travers une visualisation guidée, par exemple en appelant les apprenants à s’imaginer sur une plage et à se représenter l’odeur de l’océan ou le bruit des vagues. « Le cerveau, toujours en position de combat et en lutte pour la survie, n’accepte pas la pause. Cet exercice permet justement de le tromper afin qu’il finisse par accepter de prendre un temps de repos », explique Stéphane Ginocchio. Les exercices de respiration permettent également à l’apprenant d’entrer dans une disposition intérieure propice à la concentration. Ici, l’objectif pédagogique est de favoriser la disponibilité attentionnelle et la mémorisation en début ou au cours d’une séquence de formation.
- « Tomber en arrière pour avancer en confiance »
Il s’agit d’un exercice visant à renforcer la confiance au sein d’une équipe et à faire comprendre aux apprenants qu’il n’est pas possible de tout mesurer avec la raison. « Le ressenti, l’émotion, l’inconscient sont parfois plus importants que le raisonnement », assure-t-il. Concrètement, l’expérience en une mise en situation engageant le corps. En acceptant de tomber volontairement en arrière dans les bras d’un autre participant, l’apprenant expérimente de manière sensorielle les fondements de la sécurité relationnelle : consentement, lâcher-prise corporel et responsabilité partagée. « Lorsqu’on inverse les rôles, la confiance augmente par effet miroir. Cette expérience permet de comprendre que la confiance au sein d’une organisation ne se décrète pas : elle se construit par des actes concrets. »
- « Ton nez a besoin de faire des pauses (et ton cerveau l’oublie) »
Menée au sein d’un groupe d’apprenants répartis en binômes, ce dispositif nécessite du matériel. Le principe est de faire vivre le phénomène de saturation attentionnelle à travers un test olfactif. « Il s’agit de faire sentir plusieurs odeurs aux apprenants. Or, généralement, ces derniers n’arrivent plus à les reconnaître au bout du troisième test olfactif. Dans ma pratique, j’intègre toutefois un gobelet de café dans l’expérience, mais au sein d’un seul groupe d’apprenants. Puisque l’odeur du café réinitialise l’acuité en « nettoyant » l’odorat entre les différentes senteurs, ce sont les apprenants de ce groupe qui parviennent à deviner les odeurs suivantes », illustre-t-il. L’expérience illustre un principe managérial important : « Sans variation ni respiration, l’attention s’épuise, l’information n’est plus perçue. Introduire des ruptures, des pauses et des formats inattendus devient alors une stratégie clé pour maintenir la vigilance et prévenir l’aveuglement collectif », explique-t-il.
- « Ne pense surtout pas à… »
Ici, il s’agit par exemple de demander aux apprenants de ne surtout pas additionner 3 et 2. Immanquablement, ils vont penser au chiffre 5. Ce type d’expérience permet de comprendre que le cerveau fonctionne de la même manière chez chacun, qu’il existe nombre de processus qui échappent au contrôle humain et envahissent la réflexion. « Par ailleurs, l’expérience fait vivre concrètement l’impossibilité d’inhiber une pensée activée. Cela permet notamment de questionner les limites du contrôle mental et les injonctions paradoxales en entreprise », analyse Stéphane Ginocchio.
- « Compte les points… si tu y arrives (ce que tu vois n’est pas ce que tu crois) »
Cette mise en situation consiste à faire prendre conscience de l’aveuglement cognitif. Le dispositif mobilise une illusion d’optique bien connue (grille de scintillement ou grille de Hermann), dans laquelle des points noirs apparaissent là où il n’y en a pas. « Cela s’explique par le fait que l’attention visuelle est trop tendue sur certains repères. Le dispositif démontre ainsi une réalité fréquente en contexte professionnel : l’hyper-focalisation peut nuire à la justesse de la perception », souligne Stéphane Ginocchio. Globalement, à force de fixer un point précis – une problématique, un chiffre –, on perd la vision d’ensemble. « Cela montre aux apprenants qu’ils peuvent être influencés par des éléments inconscients qu’ils ne maîtrisent pas. L’une des compétences qu’il est important d’acquérir, c’est précisément la connaissance des pièges cognitifs les plus fréquents », conclut-il.