Ayant adopté l’approche de la « classe renversée », Jean-Charles Cailliez, professeur de biologie cellulaire et moléculaire et vice-président Innovation de l’Université catholique de Lille, accueille désormais ChatGPT dans sa classe. Son ambition est de développer l’esprit d’équipe qui, selon lui, est l’une des compétences majeures qui doivent être développées chez les jeunes.
En quoi consiste votre pratique de la classe renversée ?
Dans le cadre de ma pratique de la classe renversée, ce sont les étudiants qui construisent le cours de façon collaborative. En plus de Wikipédia ou de sites scientifiques, ils se font aider par l’intelligence artificielle générative pour construire leurs productions. Concrètement, dans ma classe de 80 étudiants répartis en 12 équipes, je ne fournis qu’un programme et des titres de chapitres (par exemple, le matériel génétique, les virus, la vaccination, etc.). De leur côté, les étudiants, pour construire le contenu, peuvent recourir au copier/coller ou utiliser ChatGPT pour parfaire leur rédaction. Ils doivent également référencer leurs sources. Je joue, quant à moi, le rôle de l’élève.
Comment le faites-vous ?
La synthèse des cours est automatique parce que les élèves utilisent Google Drive de façon collaborative, chaque équipe étant chargée de travailler sur un chapitre. À l’issue, les élèves ont accès aux chapitres construits par les autres. De mon côté, je leur pose des questions lorsque je relève des inexactitudes dans les productions proposées. S’ils sont incapables d’y répondre, ils savent implicitement qu’ils doivent recommencer le travail de façon collaborative. Mais les étudiants peuvent également se solliciter entre eux : si certains ne comprennent pas une partie du cours collaboratif, ils la surlignent en jaune afin qu’elle soit repensée. Globalement, les élèves sont obligés de proposer un cours compréhensible par l’ensemble de leurs pairs.
Vous donnez aussi des cours magistraux. Comment se déroulent-ils ?
Dans le cadre de mes cours en amphithéâtre, qui accueillent 150 élèves, je ne pratique pas la classe renversée. Cependant, pour dynamiser la classe, je commence la séance par une question qui est en rapport avec le cours. Par exemple, s’il s’agit d’un cours sur la vaccination contre le Covid-19, je l’introduis en demandant comment fonctionne un vaccin à ARN messager. Pendant 20 minutes, les étudiants doivent ensuite co-construire des réponses avec leurs voisins, en ayant la possibilité d’utiliser ChatGPT, Wikipédia, Google… Dans un second temps, pendant 20 à 25 minutes, j’engage un dialogue avec l’ensemble de la classe afin d’introduire des éléments de cours à partir des questions posées au début de la séance. La deuxième heure prend, quant à elle, la forme d’un cours classique, où ne figurent pas les notions déjà débattues durant la première partie.
En matière d’utilisation de l’IA, quels conseils d’usage donnez-vous à vos étudiants ?
La majorité des élèves utilisent ChatGPT et (l’IA en général) comme un moteur de recherche. J’essaie donc de leur apprendre à dialoguer avec l’outil, via l’écriture de bons prompts, pour en tirer des résultats affinés. Par ailleurs, en lisant les contenus générés par les outils, les élèves ne sont pas toujours en mesure de différencier les bonnes des fausses réponses. Là encore, je leur conseille de faire durer le dialogue avec l’IA et de lui demander de réexpliquer certains éléments de la réponse. On s’aperçoit aussi de plus en plus que l’IA n’est efficace que lorsque l’utilisateur domine la matière. D’abord parce qu’une partie de la réponse est souvent fausse et ensuite parce qu’elle contient beaucoup de charabia. En effet, dans une réponse en 15 lignes, seule la moitié est exploitable. Il est donc important de comprendre que l’outil aide à travailler dans les domaines que l’on maîtrise déjà.
L’usage de l’IA produit-il des résultats concrets sur les performances de vos élèves ?
Il n’a pas d’incidence majeure sur la performance des élèves. Les méthodes innovantes que je mets en œuvre ont surtout pour but d’augmenter l’interaction entre les élèves et de les rendre acteurs de leurs apprentissages, non de faire monter leur niveau. Il s’agit de les aider à développer des compétences majeures : la collaboration, la capacité de venir en aide aux pairs… En effet, un élève capable d’aider des camarades en difficulté pourra demain devenir un collègue qui sait travailler en équipe. Néanmoins, il m’arrive de constater que les élèves les plus en difficulté décrochent moins lorsqu’ils se trouvent dans une dynamique de collaboration. Cela ne veut pas dire qu’ils vont se mettre à aimer la génétique à la fin de l’année, mais qu’ils auront acquis quelques notions et peut-être développer un certain goût pour cette matière.