« L’attentisme politique n’est pas un vecteur de confiance pour les EdTech »

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5 % des entreprises de la French Tech ont fait faillite depuis 2023, d’après une étude de La Banque de France complétée par La Tribune. Le secteur subit de plein fouet les conséquences de la crise mondiale du financement de la Tech. De leur côté, les EdTech échappent à ce tarissement des fonds, en partie parce qu’elles répondent à des besoins concrets et durables, selon Marie-Christine Levet, fondatrice d’Educapital.

Le secteur des EdTech semble relativement épargné par la crise mondiale de la Tech…

C’est vrai ! Globalement, les entreprises de la French Tech qui ont été touchées par la crise étaient dans une logique de croissance rapide et réalisaient des méga-levées de fonds. Lorsque les introductions en bourses sont devenues plus compliquées et que les liquidités sur le marché se sont taries, ces entreprises se sont retrouvées face à une situation difficile. Les coûts liés à leur fonctionnement ne pouvaient plus être assurés par les levées de fonds. Et elles n’ont pas réussi à se renouveler face à la crise de liquidité. Les EdTech n’ont pas vécu ce type de difficultés. Cela a uniquement été le cas de l’EdTech indienne Byju’s, dont la valorisation a baissé car elle se trouvait, depuis la crise du Covid-19, dans cette logique d’hyper-croissance. Mais globalement, en Europe, le secteur des EdTech, plus petit, reste épargné.

Pour quelles raisons l’EdTech semble être un secteur « à part » ?

Entre janvier et août 2024, les EdTech européennes (comprenant le segment du « future of work ») ont levé 1,2 milliard de dollars. C’est à peu près le même montant levé qu’en 2023, sur la même période. Tandis qu’au niveau mondial, on est passés de 5,7 à 3,7 milliards de dollars de levées de fonds. Si les EdTech européennes n’ont pas été touchées par ce vent de panique, c’est parce que sur notre continent, il s’agit d’un secteur nouveau. C’est également un secteur résilient, qui répond à de vrais besoins en matière d’éducation et de formation. Par ailleurs, les barrières à l’entrée au marché de l’éducation les obligent à construire des offres éducatives solides. Concrètement, lorsque des écoles commandent une solution EdTech qui les convainc, elle continue de le faire l’année d’après. On est donc loin des phénomènes de mode comme la FoodTech par exemple.

Quelle typologie d’EdTech s’en tire le mieux ?

Le volume de levées de fonds dans les EdTech en Europe a connu une légère progression au deuxième trimestre 2024 par rapport au premier trimestre. Cette dynamique est en grande partie portée par les promesses des EdTech positionnées sur l’intelligence artificielle au service du future of work. La France n’échappe pas à cette appétence pour l’IA : les plus grosses levées de fonds ont été réalisées par de jeunes sociétés du future of work (comme la société H, qui a levé 220 millions de dollars en mai 2024) qui portent des visions intéressantes et des innovations en la matière. En revanche, les EdTech françaises plus « classiques », destinées au K12 ou à l’enseignement supérieur, n’ont presque pas levé de fonds en 2024.

Comment expliquer ce tarissement des fonds pour les EdTech dites « classiques » ?

Le marché français de l’EdTech n’est pas encore consolidé. Les entreprises sont davantage soutenues par des subventions, des P2IA que par un réel marché pérenne. Mises à part les entreprises dont les solutions sont comprises dans les ENT, les EdTech vivent de contrats de courtes durées, ce qui n’aide pas à construire des business plans. Par ailleurs, l’attentisme politique dans lequel on se trouve depuis plusieurs mois n’est pas un vecteur de confiance pour les EdTech, qu’elles se destinent à la sphère scolaire ou à la formation professionnelle, puisque leur avenir est en partie guidé par les décisions politiques. Le fait qu’il n’existe pas de politique éducative constante avec des objectifs clairs sur du moyen-long terme est un vrai frein à la croissance des entreprises du numérique éducatif.

Quelles perspectives voyez-vous pour les prochains mois ?

Il est clair que l’IA va être une révolution pour le secteur de l’EdTech. Elle offre de grandes opportunités et peut profondément changer les manières d’apprendre et d’enseigner. Les plus grosses levées de fonds continueront d’être concentrées sur les entreprises qui développent ces technologies, d’autant que l’IA peut couvrir un large spectre d’activités : adaptive learning, assistance à la création de contenus, construction de modèles pédagogiques innovants… Au niveau mondial, le fait que plusieurs EdTech se soient bien maintenues en bourse (comme Duolingo, spécialisée dans l’apprentissage des langues), malgré la crise de la Tech, montre que les entreprises qui apportent de solides réponses aux besoins d’apprentissage ne peuvent pas souffrir des chahuts boursiers.

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