Le ministère de l’Éducation nationale a publié, en juin, un cadre d’usage de l’intelligence artificielle en éducation. Le but est de disposer d’un cadre clair et partagé pour accompagner élèves, enseignants et personnels administratifs dans les usages d’une technologie devenue très répandue et facile d’accès. Mais selon certains acteurs, ce cadre ne répond pas à tous les enjeux. Éclairages.
Production de devoirs, correction, rapport au savoir… L’accélération des usages des IA génératives suscite d’intenses réflexions dans le monde de l’éducation. Dans ce contexte, le ministère de l’Éducation nationale a publié un cadre d’usage construit au terme d’une consultation menée de janvier à mai 2025 sur l’ensemble du territoire auprès d’enseignants, de personnels de directions, d’inspecteurs, d’organisations syndicales, de parents d’élèves et de lycéens.
Un usage autorisé dès la 4e
Le cadre d’usage indique que « l’usage de l’IA doit être accompagné d’une réflexion continue et rend nécessaire la formation de tous les personnels, en y associant le monde de la recherche ». Du côté des élèves de primaire, la manipulation directe de services d’IA générative est interdite. Ces derniers doivent toutefois être sensibilisés aux connaissances de base sur l’IA. En revanche, l’utilisation pédagogique des IA génératives par les élèves, accompagnée par l’enseignant, est autorisée en classe à partir de la 4e en lien avec les objectifs des programmes. Toutefois, « l’utilisation d’une IA générative pour réaliser un devoir sans autorisation explicite de l’enseignant et sans qu’elle soit suivie d’un travail personnel d’appropriation à partir des contenus produits constitue une fraude ». Le ministère soulève, enfin, un point de vigilance : aucune donnée confidentielle ou à caractère personnel ne doit être utilisée dans les outils d’IA.
Un cadre nécessaire mais « non suffisant »
Ce cadre d’usage est jugé insuffisant par certains acteurs de l’écosystème éducatif. « En plus de la question de la protection des données, la seule préoccupation manifeste du ministère est d’« inciter » les enseignants à intégrer l’IA dans leurs pratiques pédagogiques », regrette par exemple le Syndicat national des lycées, collèges, écoles et du supérieur (SNALC). Ce dernier a notamment demandé que soit écrit dans le document que « l’IA est un outil parmi d’autres et que l’enseignant est libre de sa pédagogie, en conformité avec les programmes ».
Par ailleurs, le document, tout en adoptant une approche critique face aux IA non souveraines et en encourageant l’usage d’outils éthiques et respectueux du RGPD, n’annonce aucun projet public de développement d’une IA dédiée à l’Éducation nationale. « Il est important de former à l’esprit critique et de limiter les usages. Mais formuler des interdictions ne suffit pas : pour ne pas avoir l’IA qu’on ne veut pas, il faut développer l’IA que l’on veut », souligne Matthias de Bièvre, fondateur de VISIONS et porteur de projets IA dans l’éducation au sein du consortium OpenEdIAG. Selon lui, s’ils n’ont pas d’alternatives, les élèves se tourneront nécessairement vers des outils comme ChatGPT. « Il faudrait donc déployer des IA respectueuses des règles indiquées. Mais qui soient aussi pensées exclusivement pour l’éducation, c’est-à-dire pour aider les élèves à réviser. Sans leur donner de réponses, elles les orienteraient vers les bons contenus, proposeraient des réflexions, des parcours personnalisés… », souligne-t-il.
Une IA connectée aux données du système éducatif
Dans cette optique, il s’agirait de construire une IA souveraine connectée aux données du système éducatif, capable de proposer des usages personnalisés. « L’absence d’une position claire du ministère de l’Éducation sur les outils à utiliser est regrettable. En comparaison, le ministère de l’Enseignement supérieur a pris une longueur d’avance en lançant des projets concrets », fait-il remarquer. Le ministère de l’Enseignement supérieur, avec l’Agence de mutualisation des universités et établissements (AMUE), a en effet annoncé en juin le lancement d’un partenariat d’innovation avec Mistral AI. Ce dernier vise à développer un agent conversationnel conçu pour répondre aux besoins spécifiques des étudiants, enseignants et personnels administratifs de l’enseignement supérieur.
Une introduction de l’IA trop tardive
Le fait que les élèves ne puissent commencer à utiliser les IA génératives qu’à partir de la 4e est également jugé problématique. « On n’apprend jamais mieux qu’en faisant. Lorsqu’elle est entraînée pour guider l’utilisateur et paramétrée en fonction de son âge, l’IA peut être un outil formidable d’apprentissage, de découverte et d’autoréflexion. Il est donc important que les élèves apprennent à l’utiliser dès le plus jeune âge », souligne Matthias de Bièvre. Selon lui, l’expérimentation des outils avant l’arrivée au lycée permettrait aussi aux élèves de développer un meilleur recul critique et une plus grande créativité d’usage. D’autre part, dans certains districts scolaires américains ou dans des pays comme la Chine, les Émirats arabes unis, l’Australie ou encore l’Angleterre, le recours à l’IA en classe de primaire est possible (ou fait l’objet de projets pilotes). « Il existe donc un risque de prise de retard par rapport à ces pays », conclut-il.