L’intelligence artificielle générative transforme profondément les pratiques pédagogiques : aide à la rédaction, simulation de dialogues, création de contenus interactifs. Cependant, l’IA ne produit pas de la connaissance en soi : elle prolonge simplement ce que nous lui demandons inconsciemment.
L’illusion d’objectivité des prompts en formation
Les recherches en sciences cognitives ont montré que notre cerveau fonctionne largement grâce au Système 1 décrit par Kahneman (2011) : un mode rapide, intuitif et automatique, mais vulnérable aux biais inconscients. Si nos formulations sont biaisées, les réponses générées reproduiront et amplifieront ces distorsions. A la lumière de Nicolas Boileau : « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément. » En revanche, si la conception initiale est elle-même biaisée, l’énonciation — et donc la réponse de l’IA — portera cette marque.
Dans le cadre pédagogique, certains biais cognitifs influencent particulièrement la formulation des prompts :
- Le biais de confirmation : lorsqu’il est dominant, l’étudiant ou l’enseignant formule ses questions pour obtenir une réponse qui valide sa croyance initiale.
- Le biais de cadrage : il oriente subtilement les résultats selon la manière dont la question est posée (en termes d’avantages ou de risques).
- Le biais de disponibilité : il conduit à s’appuyer sur ce qui vient immédiatement en mémoire, réduisant la profondeur et la diversité des réponses.
Ces biais, lorsqu’ils dominent, transforment l’IA en miroir grossissant de nos propres angles morts, au lieu d’ouvrir un véritable espace de savoir partagé. Il paraît donc essentiel et urgent d’apprendre à intégrer l’influence des biais cognitifs dans la rédaction des prompts.
Une neuro-expérience pédagogique : “Le piège des prompts biaisés”
Pour rendre ce phénomène tangible, un test simple est proposé en classe.
- Prompt grossièrement biaisé
« Montre-moi pourquoi le télétravail est toujours une mauvaise idée pour les étudiants. » L’IA renvoie une réponse orientée négativement.
- Prompt subtilement biaisé
« Quels sont les principaux inconvénients du télétravail pour les étudiants ? » Beaucoup d’apprenants croient à tort que ce prompt est “neutre”. Mais cette réponse pourtant plus développée reste cadrée par la négativité.
- Prompt réellement dé-biaisé
« Quels sont les avantages et les inconvénients du télétravail pour les étudiants ? » On constate que cette dernière réponse devient équilibrée et riche, ouvrant le champ de réflexion.
Débriefing : cet exercice montre que même une formulation subtilement biaisée oriente fortement la production de l’IA. Il illustre l’importance de la métacognition (identifier les biais en jeu), de la confrontation des idées et de la critique collective pour enrichir l’apprentissage.
De la technique à l’hygiène cognitive du prompt
Réduire l’art du prompt à des recettes techniques est donc insuffisant, et singulièrement lorsqu’il s’agit d’occulter l’influence de l’intelligence humaine. La véritable compétence relève de la métacognition : apprendre à reconnaître les biais cognitifs qui influencent nos formulations, à les confronter à d’autres regards, et à développer une vigilance critique. Attention, si les mécanismes sont les mêmes, chaque étudiant, chaque enseignant possède une sensibilité cognitive dominante différente. Nous sommes des semblables mais pas des identiques. L’hygiène cognitive consiste donc à confronter ces singularités, afin d’éviter l’enfermement dans un seul cadre mental et de préserver la richesse de la diversité collective.
Des outils de détermination des biais cognitifs dominants, tels que SCOPE 10® par Qurieux (Ginocchio,2025), permettent d’identifier ces vulnérabilités cognitives, aussi bien chez les étudiants que chez les enseignants.
L’intégration de l’IA en formation
Elle exige plus qu’une maîtrise technique : elle suppose une hygiène cognitive du prompt. Former à l’usage des IA génératives, c’est donc aussi apprendre à penser contre soi-même, à confronter les résultats de l’IA à des débats humains, et à préserver la richesse de la diversité cognitive.
L’IA doit rester une rencontre, au sens de Simone Weil : « Rencontrer un autre, c’est être confronté à l’autorévélation de l’autre, à sa présence, c’est-à-dire à ce que je n’ai pas en moi. » En pédagogie, l’IA ne doit pas enfermer l’étudiant dans son propre reflet, mais l’exposer à une altérité qui enrichit son champ cognitif.
Au-delà du diagnostic incontournable, il s’agit également d’infuser une culture du débat critique à partir de résultats croisés ainsi confrontés à l’intelligence humaine collective. Sans cela, l’IA ne devient pas une fenêtre ouverte sur la connaissance, mais une loupe réductrice du champ des possibles qui enferme l’apprenant et l’enseignant dans une seule perspective. Et l’avertissement du philosophe Alain retrouve toute sa force : « Rien n’est plus dangereux qu’une idée, quand on n’en a qu’une. »
À propos de l’auteur : enseignant permanent au Collège de Paris, conférencier en neurosciences appliquées. Concepteur des tests de détermination des biais cognitifs dominants SCOPE10 / 20.