Qui eût cru que le théorème de Pythagore ou la défaite de la France en 1940 pourraient un jour faire l’objet de vidéos postées sur TikTok ? Car oui, plusieurs enseignants ont investi ce réseau social pour susciter l’intérêt des jeunes autour des notions pédagogiques importantes, démontrant ainsi qu’humour et décontraction peuvent être synonymes d’acquisition de connaissances.
Après Facebook et Instagram, c’est TikTok qui se présente désormais comme le réseau social le plus influent dans le monde, surtout auprès des jeunes. Lancée en 2016, l’application permet de réaliser et de publier en quelques clics des vidéos d’une à trois minutes (souvent humoristiques) auxquelles il est possible d’ajouter des sons ou des images. Mais alors quel peut en être l’usage éducatif ? Difficile, en effet, d’imaginer un professeur l’exploiter sérieusement pour transmettre des connaissances. Pourtant, plusieurs s’y sont mis en raison de l’essor de ce réseau social en France depuis la crise sanitaire. « D’abord inscrite par curiosité, j’ai commencé à voir apparaître des vidéos d’enseignants. Les mathématiques étant par contre absentes sur ce réseau, j’y ai vu une fenêtre pour commencer à vulgariser des notions simples », explique Estelle Kollar, alias @wonderwomath, professeure de mathématiques (collège Louis Arnand, Nancy) qui cumule plus de 360 000 abonnés sur TikTok.
Attiser la curiosité des élèves
Estelle Kollar a vu son nombre d’abonnés exploser en quelques jours, pour une raison simple : « La spécificité de TikTok, par rapport aux autres réseaux sociaux, est la force de frappe des hashtags. Les utilisateurs n’ont pas à être abonnés à mon fil de contenus pour voir apparaître mes vidéos. D’où la rapidité avec laquelle on peut acquérir de la visibilité », explique-t-elle. Depuis, elle poste régulièrement de courtes capsules pédagogiques ayant vocation à attiser la curiosité des élèves et à vulgariser des notions du programme de mathématiques. « Comme les vidéos doivent être très courtes, je fragmente les chapitres en notions comme l’addition ou la soustraction. Pour le lycée, je conçois des contenus sur les techniques calculatoires ou les fonctions linéaires », précise-t-elle. Résultat : intrigués, ses élèves et d’autres collégiens s’abonnent et retiennent les informations. La professeure remarque même que les notions ayant fait l’objet de publications avant la tenue du cours sont, en classe, déjà bien connues et assimilées par les élèves. Même constat du côté de Yann Bouvier, professeur d’histoire en lycée. Cumulant 540 000 abonnés, @yanntoutcourt explique que « les vidéos postées sur TikTok me permettent parfois d’éveiller la curiosité de jeunes qui, habituellement, ne sont pas friands d’histoire ».
Pousser les jeunes à développer un esprit critique
Inscrit dès 2019, ce professeur d’histoire a profité des confinements imposés par la pandémie pour produire des « raps d’histoire » résumant des faits comme la défaite de la France en juin 1940. Il a ensuite animé des lives sur la guerre mondiale, la révolution française… Des vidéos qui ont enregistré des centaines de milliers de vues. Ces succès l’ont amené à régulièrement utiliser TikTok comme une plateforme de diffusion de courtes vidéos visant à vulgariser des notions historiques (démocratie athénienne, croisades…) ou méthodologiques. Mais pas que, puisque certaines de ses vidéos ne sont pas spécifiquement destinées aux lycéens mais visent plutôt à démonter des propos mensongers ou caricaturaux tenus par des personnalités médiatiques, des clichés ou des imprécisions historiques (celle-ci traite par exemple de la fausse reconstitution, largement relayée, du visage de Robespierre). Le professeur d’histoire « attaché à la rigueur historique » entend ainsi utiliser TikTok pour « contribuer à développer l’esprit critique des internautes et les inciter à plus de circonspection face aux fausses informations », indique-t-il.
Pas de réelle plus-value pédagogique
« TikTok permet uniquement de réaliser des fiches de révision filmées et de faire le point sur, par exemple, les erreurs communes à éviter », souligne Estelle Kollar. En outre, les capsules ne sont pas toujours pédagogiques dans le sens où on l’entend dans le milieu éducatif. C’est une activité indépendante que certains professeurs comme Yann Bouvier n’évoquent même pas en classe. « Je ne conçois pas les vidéos en pensant à mes élèves. Elles sont « pédagogiques » dans la mesure où elles vulgarisent pour tous des notions historiques. L’éducation, elle, passe par le contact direct et nécessite du temps et de la remédiation », insiste-t-il. TikTok sert donc avant tout à diffuser des contenus sur un ton inventif et synthétique. « Les notions que j’aborde concernent les points sur lesquels mes élèves butent en classe », explique Estelle Kollar. Les véritables disparités entre les élèves ne peuvent, quant à elles, être traitées qu’en classe via la pratique de l’enseignement personnalisé. La plateforme permet aussi aux enseignants d’aborder des anecdotes instructives en marge du programme : « J’ai par exemple réalisé une vidéo sur la statisticienne Joan Ginther, qui a gagné 4 fois au loto. C’est drôle, instructif, impressionnant et, surtout, cela me permet de démontrer l’utilité des mathématiques et même d’évoquer en filigrane le thème des probabilités », conclut-elle.