La pédagogie et le jeu vidéo, voilà une combinaison qui peut rebuter certains enseignants encore ancrés dans les méthodologies d’apprentissage « traditionnelles ». Pourtant, selon des expérimentations mêlant apprentissages et création de jeux vidéo, elle semble favoriser le développement de plusieurs types de compétences.
Un moyen « d’apprendre en faisant »
C’est ce qu’a expérimenté Michael Stora , psychologue et fondateur de l’École des Héros, un centre de prise en charge thérapeutique pour des enfants atypiques : « Il ya 25 ans, j’ai introduit une console de jeux dans un centre de soins pour enfants et adolescents. Étant moi-même gamer, j’y ai vu un outil pour soigner parfois ces jeunes déscolarisés neuro-atypiques. À l’époque, l’Éducation nationale envisageait très mal ce genre d’initiatives. Aujourd’hui, elle s’en empare comme d’un outil d’apprentissage parmi d’autres. C’est important puisque ces nouveaux objets culturels sont des moyens d’aider les jeunes à retrouver le plaisir d’apprendre», at-il expliqué, à l’occasion d’une conférence organisée en avril par le département des Hauts de Seine. Selon lui, à l’image des jeux vidéo où « on apprend à jouer en jouant », c’est en faisant que l’on devrait apprendre à l’école. Toutefois, investir un jeu vidéo doit produire du sens, par exemple lorsque son scénario est inscrit dans un contexte historique. Cela peut permettre à l’enseignant de le confronter avec des faits historiques réels avec ses élèves.
Une démarche qui a séduit l’Éducation nationale
L’académie de Versailles s’est saisie du jeu vidéo en vue de l’intégrer progressivement dans les collèges et lycées. « Nous avons imaginé des ateliers d’e-sport dans certains collèges et nous avons accompagné des projets visant à faire produire des jeux aux élèves du primaire, du collège et du lycée. Ce qui est important, c’est que nous adossons ces projets à des actions de formation destinées aux enseignants qui animent les ateliers », témoigne Malika Alouani , adjointe au délégué académique au numérique de Versailles.L’intérêt de ces expérimentations est qu’elles touchent à des questions telles que la mixité, le décrochage, l’orientation professionnelle… Elles sont également l’occasion de sensibiliser à l’acculturation à la citoyenneté numérique. Par ailleurs, l’académie associe les parents d’élèves en vue de créer une passerelle entre l’école et la maison en matière d’usage du jeu vidéo : « Cela aide les élèves, qui sont parfois en difficulté scolaire, à développer des compétences informelles. Il s’agit donc d’un levier de médiation pour agir sur le climat scolaire », ajoute-t-elle.
Valoriser autrement
L’association Fusion Jeunesse, partenaire de l’académie, essaie de se développer autour du jeu des pratiques d’apprentissages interdisciplinaires : « Dans le cadre de nos ateliers de création de jeux vidéo au lycée, l’enseignant, en binôme avec un coordonnateur , apporte ses compétences disciplinaires. La simulation de la production de jeux vidéo, à laquelle nous associons des programmeurs et des designers, permet aux élèves de travailler en groupe sur leurs compétences transversales : esprit collaboratif, travail interdisciplinaire qui convoque des compétences de mathématiques, de numérique, de graphisme… » , explique Chloé Vigneau , doctorante et coordinatrice de l’association.Lors de ces ateliers, les jeunes développent une vision globale de ce que doit être un projet créatif. Autre objectif : valoriser, à l’occasion des festivals de fin d’année, les créations des jeunes par des récompenses, ce qui permet d’augmenter leur motivation.
Vers une généralisation des pratiques ?
L’académie de Versailles, qui a participé au Festival du jeu vidéo des Hauts-de-Seine, souhaite poursuivre ses expérimentations. « Nos textes institutionnels ne nous aident pas dans cette démarche. Cependant, à la maternelle, il est prévu que les élèves apprennent en jouant. À l’école élémentaire, certaines situations le permettent. Reste la barrière du collège et du lycée : il faut continuer à former les enseignants et à prouver que les situations de création sont un levier de persévérance scolaire », assure Malika Alouani. Fusion Jeunesse tente, pour sa part, de diffuser massivement ses ateliers de création à l’échelle nationale en participant notamment aux travaux des GTnum dans plusieurs académies. « D’ici à 2024, nous aurons recueilli suffisamment de données de terrain pour les faire remonter au ministère. Cela sera peut-être une première étape à la diffusion plus large des ateliers de création dans les programmes scolaires », a découvert Chloé Vigneau.