La crise du Covid-19 a agi comme un catalyseur en faisant basculer 1,7 milliards d’élèves, de professeurs et de parents dans l’enseignement à distance. Partout dans le monde, elle a accéléré l’adoption de nouvelles pratiques pédagogiques et le déploiement d’outils numériques innovants, faisant gagner 5 à 10 ans au marché de l’EdTech. La preuve est faite que les outils de l’éducation innovante permettent d’augmenter l’interactivité dans la classe et de faciliter la progression individuelle des élèves, mais que l’EdTech ne peut pas se substituer aux enseignants.
Sidérés par l’impréparation du système éducatif et pour éviter une catastrophe au tout début du confinement, les parents et les enseignants ont largement utilisé les outils déployés par les géants américains et chinois, qui ont ainsi pu pénétrer massivement les salles de classes. Mais Teams, Zoom, WhatsApp, YouTube ont un modèle économique basé sur l’exploitation commerciale des données des utilisateurs. Voulons-nous que les données de nos enfants soient stockées à Seattle ou Shanghai et ce, dès leur plus jeune âge ? Qu’en sera-t-il de nos valeurs d’expression libre et de critique individuelle, que deviendra notre culture, si l’on se soumet aux censeurs californiens de l’Origine du Monde de Courbet ?
« Il y a urgence ! »
Nous avons alerté sur ce danger existentiel dans un livre blanc publié en novembre 2019 : « Préserver notre souveraineté éducative : développer l’EdTech française ». Faute de développement d’une filière nationale, le risque est réel de voir notre système éducatif devenir, demain, le terrain de jeu des titans chinois ou américains. Il s’agit de garantir notre souveraineté éducative, en développant des solutions correspondant à nos valeurs pédagogiques, à nos références éthiques.
Il y a urgence à nous prémunir contre la marchandisation des données personnelles et contre la censure. L’enjeu est de protéger ce qui fait notre singularité et notre modèle de société. L’éducation est le socle de notre identité ; notre impuissance à organiser une filière EdTech française nous expose à un nivellement immédiat des critères de qualité des contenus auxquels nous sommes collectivement attachés.
« La nécessité de passer à l’action »
La crise a agi comme un révélateur pour beaucoup de Français qui ont fait la difficile expérience du retard d’adaptation au numérique de l’éducation dans le pays. Ce constat n’a rien de surprenant. Depuis cinq ans, les rapports du Sénat, de la Cour des Comptes, de l’IGF appellent à un investissement massif dans l’EdTech pour répondre aux enjeux de qualité et d’universalité de la formation des enfants. C’est désormais une évidence pour tous. La crise a fait prendre conscience à tous de la nécessité de changer de cap immédiatement et de passer à l’action pour construire une filière EdTech souveraine.
Il y a donc urgence à faire en sorte que l’éducation innovante soit reconnue comme un secteur d’avenir et que des budgets du prochain Programme d’investissements d’avenir (PIA) soient fléchés vers l’innovation pédagogique et la formation des enseignants.
« Une refonte de la gouvernance de nos décisions éducatives »
La structuration de la filière doit être une co-construction entre le monde de la recherche, les start-up de l’EdTech et les enseignants comme les institutions éducatives, sous une labellisation de l’État. Pour atteindre rapidement cet objectif, il est indispensable de procéder à une refonte de la gouvernance de nos décisions éducatives afin d’associer davantage les territoires, les établissements et les professeurs dans le processus de choix des outils et des ressources numériques dont ils ont l’usage.
L’EdTech française est un secteur riche, fort d’un réel savoir-faire technique et pédagogique. Elle a démontré son potentiel au début du confinement en offrant massivement ses ressources et outils à destination des élèves, parents et professeurs. Nous possédons un exceptionnel vivier de talents qu’il faut encourager, financer et développer. C’est ce que nous faisons au quotidien chez Educapital depuis plus de 4 ans et c’est pour cela que nous projetons de lancer notre fonds 2 pour continuer à soutenir nos champions français de l’EdTech.
« Une coopération durable entre le secteur public et le secteur privé »
La puissance publique peut s’appuyer sur ces EdTech qui portent l’innovation. Il ne s’agit pas, pour l’État, de redévelopper ses outils seul ou au pire par chapelle, mais d’engager une coopération durable entre le secteur public et le secteur privé, dans un cadre délimité par l’État lui-même, en incluant instances régionales, collectivités, établissements d’enseignement, start-up et entreprises de l’EdTech.
Puisque le système éducatif est contrôlé par l’État, il lui incombe de créer les conditions d’un marché équitable et ouvert. La refonte du Compte personnel de formation (CPF) par la banque des Territoires qui permet à tout un chacun de choisir sur un portail dédié sa formation est un modèle de réussite associant l’intérêt commun, la liberté de choix individuelle et l’ensemble de l’écosystème de la formation professionnelle.
Nos trois axes de travail
Le coût d’une action vers l’éducation innovante est très faible (quelques dizaines d’euros par élève par an) en regard des 8690 € dépensés chaque année pour chaque enfant et encore plus quand il s’agit d’enfants décrocheurs.
3 axes de travail, 3 urgences appelant des réponses immédiates, simples, peu coûteuses :
- L’urgence politique à reconnaître l’éducation innovante comme un secteur d’avenir, donc comme un secteur prioritaire du prochain Programme d’investissements d’avenir.
- L’urgence technique, pour permettre aux équipes éducatives, de choisir et d’acheter les outils et les services dont elles ont besoin.
- L’urgence pédagogique à offrir aux enseignants des formations de qualité et à permettre des innovations dans leur pratique.
A propos de l’auteure :
Marie-Christine Levet est la fondatrice d’Educapital, premier fonds d’investissement européen dédié au secteur de l’éducation et de la formation innovante. Figure pionnière de l’Internet en France, elle dispose de plus de 20 années d’expérience professionnelle dans le secteur des nouvelles technologies tout d’abord en tant qu’entrepreneur puisqu’elle a fondé ou dirigé plusieurs grandes marques du web français (Lycos, Club-Internet, Groupe Tests), puis en tant qu’investisseur en participant à la création de Jaina Capital. Elle est diplômée d’HEC et titulaire d’un MBA de l’INSEAD.