L’usage d’outils technologiques dans la sphère de l’éducation doit faire évoluer les pratiques enseignantes vers plus de créativité. Mais comment les équipes pédagogiques doivent-elles concrètement réussir ce changement de posture ? Réponses de Yann Le Cunff, maître de conférences à l’Université de Rennes 1.
L’arrivée de l’IA dans la sphère de l’éducation suscite la crainte de nombreux acteurs. Pensez-vous qu’elle est justifiée ?
Au regard de ce que proposent les technologies actuelles, il n’y a pas lieu de s’inquiéter du prétendu remplacement des enseignants par l’intelligence artificielle. En raison des nombreuses limitations de l’IA, les enseignants restent évidemment indispensables. L’usage pédagogique d’un outil comme ChatGPT intègre encore une partie compliquée de vérification des sources et des informations, dont une partie peut être incorrecte. Sans être accompagné d’un regard d’expert, il est difficile pour un étudiant qui découvre une nouvelle discipline scientifique d’identifier les informations erronées que peut générer l’IA ! Mais à mesure qu’elles évolueront, les nouvelles technologies nécessiteront un déplacement de posture de la part des enseignants, qui devront faire acquérir à leurs étudiants de nouvelles compétences en lien avec les grandes transformations technologiques.
Comment cette posture doit-elle d’ores et déjà évoluer ?
Dans certaines disciplines, les étudiants s’emparent plus vite des nouveaux outils technologiques que leurs enseignants. Il existe donc un besoin urgent de formation des enseignants aux enjeux comme aux limites des nouvelles technologies. Le sujet est important puisqu’il s’agit, pour les enseignants, de réussir l’adaptation de leur posture plutôt que de la subir. Par exemple, les examens « à l’ancienne », où les étudiants doivent répondre à des questions de cours qu’ils peuvent maintenant poser à des outils comme ChatGPT, ne peuvent plus avoir lieu. Cependant, pour qu’ils puissent repenser leurs modalités d’évaluation, les enseignants doivent justement être formés à ce que l’IA est capable de générer comme connaissances mobilisables par les étudiants. Sur ces sujets, les réflexions que nous menons avec mes collègues concernent les manières de rendre les diplômes plus robustes face aux avancées technologiques. Plutôt que d’interdire le recours aux outils technologiques et de revenir au papier-crayon, il serait par exemple plus judicieux d’imaginer un spectre de nouvelles possibilités d’évaluation.
Lesquelles par exemple ?
Il est possible d’imaginer des examens dans le cadre desquels ChatGPT ne permet pas de répondre entièrement à la question mais constitue plutôt un outil mobilisable de manière autorisée dans une première étape de l’évaluation. On peut, par exemple, demander à des étudiants en Master de faire une recherche bibliographique et d’écrire une « overview » des connaissances scientifiques liées à un domaine précis. Or, s’il s’agit d’un domaine technique, le premier jet de ChatGPT ne sera pas d’un niveau suffisamment précis pour ce qu’on attend d’un sujet de Master. L’étudiant devra alors interroger d’autres bases de connaissances, voire réinterroger ChatGPT par le biais d’indications plus fines en vue d’améliorer le résultat. L’enseignant, quant à lui, peut demander à son étudiant de lui renvoyer l’ensemble des questions posées à l’outil pour arriver au résultat final. Globalement, l’objectif est que la réponse fournie par ChatGPT ne soit pas suffisante mais constitue simplement un élément dans la démarche de l’étudiant. Et c’est toujours cette dernière qui doit intéresser l’enseignant dans le cadre de son évaluation.
En dehors des évaluations, comment l’IA peut-elle rendre l’éducation plus qualitative ?
On s’est longtemps concentré sur la forme dans certaines pratiques. Aujourd’hui, grâce aux nouvelles technologies, on peut enfin se concentrer sur le fond : certaines tâches auparavant chronophages peuvent aujourd’hui être réalisées avec un important gain de temps. En plus des synthèses bibliographiques sur un sujet donné que l’IA peut rendre beaucoup plus rapides à réaliser, elle permet aussi de penser de manière plus qualitative des activités traditionnelles comme les rapports de stage. Ces derniers comprennent souvent une première partie introductive générique qui présente les différentes méthodes et technologies mobilisées par les étudiants pendant leur stage. Mais celles-ci ne correspondent pas directement à leurs résultats personnels. Puisque cette partie introductive peut désormais être co-générée par ChatGPT, le temps gagné permet aux étudiants d’être « challengés » sur le choix de leur plan, l’organisation de leurs idées, de se voir poser des questions plus fondamentales… Finalement, l’étudiant construit un regard réflexif sur son propre travail comme sur le rendu de ChatGPT.