Souveraineté des données, indépendance vis-à-vis des constructeurs d’IA génératives, modèles économiques innovants… La filière EdTech doit prendre en compte plusieurs enjeux pour espérer se hisser au niveau des géants extra-européens selon Nicolas Bourgerie, CEO de Teach Up.
Les IA génératives sont en train de bousculer les pratiques de formation. Selon vous, quels enjeux soulèveront-elles demain ?
Le cœur du sujet de l’IA générative est la nature de la donnée, qui est très importante lorsqu’il est question d’apprentissage. Un des points d’attention pour les prochains mois est la prise en considération de la génération augmentée de récupération (RAG), qui est un processus d’optimisation des résultats des modèles de langage. Il s’agit d’espaces dans lesquels on injecte un contenu de qualité qui est maîtrisé par l’humain et non inventé par l’IA. Dans ce cadre, l’humain est propriétaire de cette donnée. Et il peut choisir les éléments de la donnée à récupérer et à réutiliser dans d’autres contextes. C’est important car la qualité de la donnée est fondamentale : générer des contenus médiocres peut, à terme, désengager les apprenants. La force des IA génératives, c’est plutôt leur capacité de transformer ces données de qualité en contenus audio, textes, vidéos… Cette variété de contenus est d’autant plus intéressante qu’elle ouvre des opportunités de formation aux personnes en situation d’illettrisme ou de handicap.
Qu’en est-il de la question de l’intégrité des usages ?
Il existe en effet un fort enjeu de souveraineté. Il faut que l’on s’assure que les données soient utilisées en Europe ou dans des contextes maîtrisés, non ceux où des acteurs pourraient les piller et les utiliser à des fins commerciales. Cela passe par la construction de LLM (grands modèles de langage). Chez Teach Up, nous sommes en train de nous engager dans cette direction en construisant notre propre infrastructure d’IA générative. Un autre enjeu fort pour le secteur est de ne pas se rendre dépendant du modèle économique des grands groupes qui développent les IA génératives. En effet, il est risqué que les IA génératives deviennent un élément déterminant de la proposition de valeur d’une EdTech. L’idée est donc de trouver un équilibre entre ce que l’IA apporte et ce que l’EdTech elle-même est capable de réaliser indépendamment de l’IA générative, par exemple en matière d’intention pédagogique, de vision du secteur…
Quelles autres réflexions doivent être engagées par la filière EdTech ?
Je pense qu’une réflexion forte doit être construite autour des business models, un domaine où la créativité des Américains et des Chinois est bien plus forte que celles des Européens. De nouveaux modèles sont à inventer et ils doivent se fonder sur des approches innovantes. Le business model dominant est encore trop centré sur les abonnements. Nous aurions tout à gagner à aller vers des formes d’abonnement en lien avec une partie de la proposition de valeur apportée par l’EdTech et basées sur la liberté d’usage du client. L’une des manières d’y parvenir serait de proposer de prendre un pourcentage de la valeur que l’on apporte au client. Beaucoup de modèles pourraient être envisagés si l’on part de cette approche de partage de valeur. Chez Teach Up, nous sommes d’ailleurs dans une phase de « test & learn » en essayant d’élargir nos business model avec nos clients. Cela nous aidera à construire un modèle lisible en vue de nous déployer à l’échelle européenne.
Quelle vision de la formation défendez-vous, justement, chez Teach Up ?
Teach Up a été lancée fin 2020, après 3 ans de R&D, avec l’intention de sortir des formats linéaires du digital learning et de faire réussir tout le monde en adaptant les contenus d’apprentissage aux besoins de chacun. La technologie que nous mettons à disposition des entreprises leur permettent d’obtenir des ressources pédagogiques à partir de leurs propres documents ou savoir-faire (en matière de produit, de RSE, de projets stratégiques, etc.) pour lequel il n’existe pas de formation catalogue. L’interface de la solution, dans laquelle nous avons intégré des outils d’IA, fait ainsi la captation de ce savoir-faire et le transforme en contenus pédagogiques adaptatifs (jeux, activités, exercices présentant des difficultés différentes…). La vision que nous défendons est donc claire : se servir de la technologie pour créer des milliers de chemins d’apprentissage par module avec le souhait d’atteindre des objectifs d’inclusion et de réussite pour tous les apprenants.
En quoi l’intelligence artificielle améliore-t-elle votre proposition de valeur ?
Dès le départ, notre ambition exigeait que nous développions notre propre IA prédictive. Il a fallu transformer les principes des sciences cognitives en algorithmes afin d’entraîner notre IA à cet impératif d’adaptation aux besoins pluriels et au rythme de chacun. Au fur et à mesure de notre développement, nous y avons rattaché des IA génératives. Ces dernières nous permettent de mettre à disposition des concepteurs pédagogiques et des apprenants un assistant intelligent doté de compétences spécifiques. Notre IA sait par exemple proposer une introduction de formation, créer des images avec des éléments d’intention particuliers, délivrer des explications spécifiques, faire des feedbacks, évaluer une réponse ouverte…