L’intelligence artificielle fait aujourd’hui partie de nos vies. Dès lors, l’exclure des processus d’enseignement et d’apprentissage parait désormais dépassé, voire dangereux. Comment profiter des IA pour adopter de nouvelles approches pédagogiques et faire en sorte que la formation réponde aux enjeux du 21e siècle ? Réponses d’un professeur expert en nouvelles technologies.
« Faut-il avoir peur de ChatGPT ? » Cette question que tout le monde se pose fait l’objet de discussions agitées depuis la mise à disposition de cet outil au grand public. « Il faut mettre en perspective cette question avec la couverture médiatique qui en a été faite et avec la réaction épidermique de Science Po, qui a dans un premier temps rejeté ChatGPT. L’idée que l’IA puisse remplacer un enseignant est un fantasme », rassure d’emblée Mickaël Bertrand, professeur d’histoire et de géographie au sein d’un lycée à Dijon, et expert en nouvelles technologies, dans le cadre d’un webinaire organisé par la solution d’apprentissage Apolearn.
ChatGPT : un outil comme un autre ?
Encore peu appréhendé par les enseignants, ChatGPT ne doit pas leur faire peur. « Nous avons connu plusieurs innovations qui ont soulevé des questionnements similaires : l’invention du livre entre la fin de l’époque médiévale et le début de l’époque moderne, l’apparition du cinéma, d’Internet, des ordinateurs personnels, de YouTube, de Wikipédia, les MOOC… S’il ne faut pas avoir peur de ChatGPT, c’est parce qu’apprendre est une activité sociale qui nous renvoie à notre humanité », pointe-t-il. En témoignent notamment les taux d’abandon élevés des parcours d’apprentissage suivis via des MOOC. L’autre raison pour laquelle il ne faut pas craindre les IA génératives est que les apprenants ont besoin d’être accompagnés pour les prendre en main de façon raisonnée. « Par ailleurs, si on met ces outils entre les mains des élèves sans les accompagner, on risque de renforcer la fracture numérique. D’autant qu’il ne faut pas confondre l’appétence que l’on peut observer chez certains publics et la notion de compétence et de maîtrise », poursuit-t-il.
Utiliser l’IA pour mieux évaluer
Reste que les IA génératives ont toutefois des conséquences sur l’enseignement. Les activités confiées aux apprenants une fois sortis de la salle de classe doivent être repensées. « Il va falloir réfléchir à un nouvel équilibre entre connaissances et compétences. Au sein de l’Éducation nationale, cette question s’est d’ailleurs posée au niveau ministériel puisqu’une lettre de saisine de la ministre datant du mois de mars 2024 invite le Conseil supérieur des programmes à réécrire ces derniers en prenant notamment en compte l’apport de l’IA », rappelle-t-il. Concrètement, pour améliorer les processus d’apprentissage, l’IA peut être mobilisée pour créer des QCM, différencier les activités ou créer des évaluations en s’appuyant sur les principes de la taxonomie de Bloom. « Théorisée une première fois en 1956 et révisée en 2001, elle indique que la maîtrise d’une connaissance passe par différents stades. On considère ainsi que les élèves doivent d’abord s’en souvenir pour pouvoir l’analyser et la mobiliser au service d’une tâche. Tout ceci doit être revu à l’ère de l’IA », indique-t-il.
Miser sur les compétences distinctives de l’être humain
Dans le cadre de cette taxonomie, les IA sont capables de rappeler une information, la mettre au service d’un apprenant, mettre en application un concept dans un exercice… Mais l’humain a des compétences distinctives que l’IA ne détient pas : formuler et chercher des solutions originales, se rappeler de l’information dans des situations où la technologie n’est pas accessible, faire preuve de créativité grâce à des aptitudes personnelles. « Ainsi, au-delà de ce qui est transmis, l’éducation doit insister sur l’acquisition de compétences importantes propres à l’humain : la pensée critique, la collaboration, la résolution de problèmes, la créativité et la communication. » En pratique, cela veut dire que les évaluations de la pure connaissance (dates, définitions, etc.) ont moins d’intérêt. Au contraire, l’enjeu est d’observer ce que les apprenants font de ces connaissances, comment ils se les approprient pour les appliquer dans un contexte particulier.
Créer des assistants personnalisés
Avec ChatGPT par exemple, il est possible de créer des évaluations qui montent progressivement en complexité dans le cadre de la taxonomie de Bloom. « On peut lui adresser un prompt lui demandant d’agir en tant que professeur de lycée et de proposer des évaluations organisées selon les principes de la taxonomie révisée », précise-t-il. Sur la base de ce prompt, qui doit être précis, l’outil formule des propositions de questions et d’évaluations. Un autre usage pédagogique des IA génératives consisterait à créer des assistants personnalisés pouvant être les tuteurs d’apprentissage des élèves. « L’idée est de conditionner ChatGPT pour en faire un assistant bienveillant. Par exemple, si un élève souhaite réviser son programme de géographie, l’outil lui propose plusieurs thèmes. Une fois le thème défini, il lui pose des questions avec des niveaux de difficulté progressifs. En lui fournissant également des feedbacks bienveillants, l’outil aide les élèves à progresser et à gagner en autonomie », conclut-il.