« Les examens doivent évaluer la créativité des étudiants, y compris en matière d’usage de l’IA », Catherine Coudray

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Conseillère et ancienne enseignante, Catherine Coudray aide les enseignants et les organismes de formation à innover. Si elle se dit méfiante vis-à-vis des outils digitaux en vogue, elle estime que le plus grand défi qui se pose en matière de formation est l’appropriation de l’IA au service de l’esprit critique des apprenants.

En matière de formation, vous êtes sceptique lorsque l’on parle de « nouvelles tendances ». Pour quelles raisons ?

Je préconise, à titre personnel, de ne surtout pas se précipiter sur les outils qui suscitent des effets de mode. La meilleure manière de former les apprenants reste d’identifier les approches et les outils les plus adaptés au public visé, au domaine d’enseignement, au type de formation et au contexte d’apprentissage. Or en France, les outils qu’on nous vend comme des révolutions en matière de transmission des savoirs, soulèvent les passions, qui retombent parfois très rapidement. C’était le cas des métavers l’année dernière. Il me semble que ce phénomène de précipitation est dû à ce que nous avons vécu pendant la crise du Covid-19. En 2020, la France était en retard en matière de e-learning. La plupart des établissements ont dû basculer rapidement dans la digitalisation des enseignements en l’absence d’infrastructures dédiées et alors que les personnels n’étaient pas assez formés. Trois ans plus tard et du fait de ce manque de maturité, dès que l’on entend parler d’une nouveauté, on se précipite dessus !

Comment, justement, les enseignants doivent-ils aborder la pléthore d’outils digitaux disponibles ?

La diversité des outils (LMS, outils auteurs, VR, AR…) et des approches pédagogiques (classe inversée, différenciation pédagogique…), déjà bien maîtrisée aux États-Unis, au Royaume-Uni et ailleurs, n’est pas encore intégrée de façon mature dans les pratiques. Dès lors, il me semble que ce que les enseignants doivent d’abord savoir, c’est que ces outils et approches ne s’ajustent pas à tous les contextes. Plutôt que de les voir comme des blocs de pratiques transposables, il s’agirait de savoir inventer et exploiter des combinaisons de solutions existantes. Par conséquent, la clé se trouve dans un savant dosage, qui requiert un important travail de veille et d’accompagnement des cellules de soutien pédagogique, visant à adapter chaque approche à chaque circonstance et à proposer des ressources que les apprenants, dans leur diversité, doivent tous pouvoir s’approprier.

Avez-vous des exemples concrets de « bonnes » ou de « mauvaises » pratiques ?

La classe inversée est une excellente modalité pédagogique. Pour autant, elle n’est pas adaptée à tous les cursus. Surtout, elle doit pouvoir être modelée selon le contexte. Par exemple, en tant qu’ancienne enseignante de communication-expression, je l’ai pratiquée pendant mes travaux dirigés afin qu’elle soit conforme à l’organisation générale des enseignements : j’avais digitalisé mes cours afin que mes étudiants y aient accès sur leurs ordinateurs pendant nos séances présentielles. Ils réalisaient ensuite des exercices, chacun à son rythme. Il s’agit bien d’une pratique de classe inversée, mais qui ne nécessite pas que les étudiants passent plusieurs heures à étudier leur cours en amont. À l’inverse, alors que les cours en amphithéâtre ont désormais mauvaise presse, ces derniers peuvent tout à fait être conduits autrement, être présentés comme un « show » et, au final, se révéler très engageants pour les étudiants. Autre exemple : le micro-learning, vanté pour ses mérites d’ancrage de connaissances à l’heure où les capacités de concentration seraient affectées par les réseaux sociaux. Ce n’est vrai que dans certains cas. Scinder les cours n’est absolument pas adéquat dans des disciplines comme le droit puisque les futurs avocats doivent, au contraire, être formés de sorte à pouvoir accroître leur pouvoir de concentration sur des temps très longs. À l’heure actuelle, je pense que l’enjeu qui doit faire consensus et dont tout le monde doit se saisir est l’IA générative, qui impactera les métiers eux-mêmes.

Comment le monde de la formation doit-il s’approprier l’IA générative ?

L’IA générative ne transformera pas uniquement la formation mais également des domaines plus larges comme le marché du travail et les besoins en compétences. Son usage, qui devient répandu, nécessite des expertises en matière de formulation de prompts (requêtes), d’appréciation de la véracité des propos générés… La sphère de la formation doit ainsi l’adopter en tant qu’outil pédagogique pouvant cultiver des habiletés d’usage auprès des apprenants. La prise en main de ChatGPT doit aussi susciter une réflexion sur la question de l’évaluation, qu’il devient urgent de reconsidérer. Les examens ne devraient plus avoir uniquement pour objet d’évaluer les connaissances mais également les compétences et la créativité des apprenants, y compris en matière d’usage de l’IA ! Ici, l’étude de cas se révèle utile. Il est possible de demander aux apprenants, dans le cadre de projets à réaliser, de documenter leur utilisation de ChatGPT après les avoir formés à l’utiliser. L’objectif serait qu’ils rendent compte de la manière dont ils ont décomposé une problématique, qu’ils expliquent comment ils ont affiné leurs prompts… Ils tiendraient ainsi un journal de bord visant à restituer la manière dont ils se sont saisis de l’outil. Ces éléments attestent que les étudiants se sont réellement investis dans leur production et que s’ils utilisent l’IA, c’est pour proposer des pistes de travail intelligentes.

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