La crise de recrutement d’enseignants en France ne cesse de s’aggraver. L’été dernier, le ministère de l’Éducation nationale indiquait que plus de 4000 postes d’enseignants, sur un total de 27 332, n’avaient pas été pourvus lors des concours de 2022. Un phénomène qui trouve notamment ses origines dans la problématique, très ancienne, de la rémunération.
Selon Frédéric Marchand, secrétaire général de l’UNSA Éducation, les principales raisons du manque d’attractivité du métier concernent, depuis longtemps, la revalorisation de la rémunération : « Depuis le début des années 1980, on constate un décrochage du pouvoir d’achat des enseignants, en particulier ceux qui sont en début ou en milieu de carrière. Et depuis 2012, il n’y a eu que deux dégels, partiels et provisoires, du point d’indice. Des dégels qui n’ont pas permis de compenser l’augmentation du coût de la vie », explique-t-il. Aujourd’hui, malgré les négociations en cours, qui ne convainquent pas les syndicats, il existe encore un manque de reconnaissance. « Les professeurs restent sous-payés alors même que leur métier ne cesse de se complexifier du fait de l’accélération des transformations sociales et économiques, auxquelles l’école est très perméable. » Selon lui, outre une revalorisation urgente du métier, une autre solution serait de s’attaquer à la question corollaire du logement. Les enseignants qui débutent une carrière dans certaines villes comme Paris ou Lyon font face à des coûts de logement importants au regard de leurs salaires. « Il y a des actions sociales à mener, par exemple au niveau des logements locatifs sociaux », recommande-t-il.
Des conditions de travail difficiles qui engendrent une perte de sens
Au-delà de la question de la rémunération, les professeurs déplorent leurs mauvaises conditions d’exercice. « Les enseignant que nous accompagnons décrivent des conditions de travail parfois compliquées et ont l’impression que leur métier est peu valorisé dans la société », témoigne Aude Eleuch, responsable pédagogique de l’association Le Choix de l’école, qui accompagne les enseignants de collège durant leurs deux premières années d’expérience. Les baromètres de l’UNSA des métiers de l’éducation en font également état : « Cette désaffection concerne aussi bien le sens du métier que les conditions matérielles liées, par exemple, à la gestion de classes surchargées. Les professeurs se plaignent aussi du climat des établissements, de moins en moins serein, ainsi que des mauvaises conditions de travail en équipe », souligne Frédéric Marchand. Pour lui, la solution serait notamment d’inscrire les réformes dans le temps long afin qu’ils retrouvent de la stabilité et du sens dans la pratique de leur métier : « Les réformes qui se succèdent, les changements de programmes, la tendance à généraliser des expérimentations qui n’ont pas été suffisamment évaluées… Tout cela contribue au sentiment de perte d’ancrage et à la dégradation du climat de confiance au sein de l’école », souligne-t-il.
L’école inclusive : un défi de plus pour les enseignants
Les politiques d’accueil des élèves en situation de handicap posent également problème. Pour redonner son attractivité au métier d’enseignant, l’école doit ainsi se donner les moyens de réussir à instaurer une école véritablement inclusive. « Les AESH, en plus de n’être pas assez formés, figurent parmi les personnes les moins bien payées dans la fonction publique. Ce métier est donc très peu attractif. Résultat : les écoles manquent d’AESH et les enseignants se sentent souvent isolés pour affronter les problématiques d’inclusion », dit-il. La mixité sociale fait également défaut dans certains départements comme la Seine-Saint-Denis, qui connaît des déficits importants de candidatures. Pour une raison simple : la capacité des territoires à produire de l’inclusion sociale contribue aussi à l’attractivité du métier. « Les territoires fortement ségrégés ne donnent pas envie aux jeunes d’aller y enseigner », assure Frédéric Marchand. Des enjeux qui, selon lui, appellent de façon urgente une collaboration renforcée entre les collectivités et l’État.
Une mobilité professionnelle limitée
Pour Aude Eleuch, le manque de mobilité professionnelle est également un frein possible. « Un enseignant peut évoluer au cours de sa carrière vers d’autres fonctions. Mais dans les faits, celles-ci sont peu nombreuses : il peut devenir soit inspecteur soit chef d’établissement. Cela peut sembler paradoxal, lorsqu’on parle de pénurie d’enseignants, de mettre en avant auprès des futurs professeurs d’autres perspectives professionnelles. Néanmoins, les jeunes ont de plus en plus de mal à se projeter sur le long terme. Certains aimeraient pouvoir mettre en valeur leurs compétences acquises – créativité, autonomie, gestion de classes hétérogènes, capacité de prise de décisions d’urgence… – en vue d’exercer d’autres métiers, notamment dans le monde de la formation », estime-t-elle. Pour elle, une solution serait de créer des ponts entre l’école et le monde de l’entreprise afin que les compétences du métier d’enseignant soient plus visibles dans la société.