Le passage à l’enseignement à distance n’a pas été de tout repos pour les établissements dont les diplômes exigent des connaissances scientifiques et techniques pointues. C’est le cas de l’École nationale supérieure des Arts et Métiers, l’une des plus vieilles écoles d’ingénieurs françaises, qui forme les industriels de demain. Le récit de son directeur général, Laurent Champaney.
Comment l’ENSAM a vécu le passage à l’apprentissage à distance durant la crise du Covid-19 ?
Lorsque s’est déclenché le mouvement de grèves qui a touché le secteur de l’enseignement français à l’automne 2019, nous avions déjà commencé à déployer des plateformes d’enseignement à distance comme Microsoft Teams. Nous en avons éprouvé d’autres, comme l’application Wooclap. Les enseignants, avec leurs groupes d’étudiants, s’étaient donc déjà habitués à « jongler » avec différents outils afin de re-scénariser les cours en effectuant, par exemple, des sondages et des QCM pour dynamiser et mettre davantage d’entrain dans l’enseignement. Ce que l’apprentissage à distance imposé par la crise leur a apporté de nouveau, c’est davantage l’usage intensif de ces plateformes, car les enseignants n’avaient pas encore numérisé tout leur contenu pédagogique de façon qualitative. Pour y parvenir, ils ont été formés par des experts de notre DSI au cours de webinaires collaboratifs.
Comment cette étape a-t-elle été vécue ?
À Arts et Métiers, nous réalisons de nombreux travaux pratiques basés sur des équipements réels et nous travaillons beaucoup sur les systèmes industriels. Ce genre de pratiques pédagogiques a été impossible à remplacer. Lors du premier confinement, les TP ont été mis à l’arrêt. Les professeurs ont toutefois développé une technique de remplacement partiel en donnant directement aux étudiants les données qu’ils sont censés acquérir pendant les manipulations opérées en TP. Nous avons donc gardé nos campus ouverts afin que certaines activités de recherche puissent être poursuivies. Pour que les élèves puissent réfléchir au protocole expérimental, les professeurs se sont enregistrés pendant qu’ils manipulaient des équipements, puis ont transféré des vidéos aux élèves en différé. Cependant, l’expérience du distanciel a posé des problèmes aux enseignants. Certains d’entre eux ont fait émerger des questions pointues de droits à l’image et de propriété intellectuelle des contenus partagés sur les plateformes comme Teams, où il est possible que les conférences soient enregistrées, partagées, donc trafiquées… Certains ont été réticents à l’envoi de leur matériel pédagogique sous forme numérique. Pour lever ce verrou, nous leur avons proposé d’associer à leurs cours numérisés une Licence Creative Commons, afin que leurs droits d’auteur soient juridiquement protégés.
Comment avez-vous évalué vos étudiants ?
Les évaluations des examens écrits de façon homogène entre les étudiants constitue toujours un problème non résolu. Il ne nous a pas été possible de le faire et, étant actif au sein de la Conférence des grandes écoles, j’ai vu qu’il en avait été de même pour d’autres établissements. Le recours à la surveillance filmée posant un problème éthique, nous avons opté, au printemps 2020, pour une évaluation basée sur des contrôles continus sous forme de QCM. Les étudiants ont été testés par ce biais, pendant leurs cours en visioconférence, sur des temps courts afin que les risques de tricherie soient limités. Tout au long de l’année 2020/2021, nous avons mené nos examens en présentiel en respectant le protocole sanitaire strict prévu pour les grandes écoles. Si je crois au potentiel des méthodes basées sur l’IA en ce qui concerne l’évaluation, il me semble que les questions liées à l’éthique et à la vie privée ne trouveront pas de réponses dans un avenir immédiat. En revanche, il me semble que le recours à des tiers-lieux pour faire passer des examens aux étudiants de manière plus décentralisée pourrait constituer un bon compromis.
Avez-vous toutefois tiré des bénéfices de cette crise ?
Cette étape nous aura permis de dégager plusieurs pistes de réflexion et d’acquérir des matériels performants. Par exemple, les professeurs ont adopté, pendant leurs cours en visioconférence, l’usage de tablettes graphiques pour écrire des équations, ce qui est plus difficile à faire sur un clavier d’ordinateur. Par ailleurs, à partir de septembre 2020, nous avons été confrontés dans nos campus à une vague de contaminations entre les étudiants qui étaient restés dans nos résidences. Cela nous a donné la possibilité de développer une certaine agilité dans l’aménagement des emplois du temps entre des cours à distance et en présence. Pour éviter aux étudiants de passer toute la journée sur Teams, les travaux dirigés ont été assurés en asynchrone. L’usage de matériels pédagogiques préparatoires à des manipulations d’équipements sera maintenu. Nos 500 doctorants répartis dans nos différents campus en France seront également incités à éviter les déplacements inutiles en assurant certaines de leurs missions d’enseignement à distance. De façon générale, l’optimisation des agendas et la détemporalisation de l’information seront privilégiées car elles permettent de rendre les temps de présence plus engageants. Nous souhaitons surtout que nos étudiants soient préparés au monde de l’entreprise de demain, devenu consubstantiel au travail collaboratif à distance.