À l’ère du numérique, les bibliothèques universitaires se réinventent 

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Alors que les enseignements basculent vers une forme d’hybridation, quel tournant doivent prendre les bibliothèques universitaires ? Le constat est le même pour la plupart d’entre elles : en plus d’offrir des contenus numériques et de digitaliser leur patrimoine, les BU misent sur l’attractivité de leurs espaces.

Le tournant du numérique est pris depuis longtemps au sein des bibliothèques universitaires. En plus de numériser les ouvrages tombés dans le domaine public, certaines d’entre elles réalisent, depuis quelques années, davantage d’achats de contenus nativement numériques qu’en format papier. Elles s’abonnent ou achètent régulièrement des collections en ligne afin que les lecteurs accèdent gratuitement à des publications scientifiques récentes. D’ailleurs, l’offre de journaux et de revues scientifiques en sciences dures et en biomédecine n’existe plus que sous forme numérique depuis plus de 10 ans. « Nous proposons une offre documentaire électronique qui est, depuis 2017, plus importante en valeur que l’offre papier », illustre Nicolas Pinet, directeur adjoint du Service Commun de Documentation (SCD) de l’Université de Poitiers. En 2020, alors que le premier confinement imposé par la crise sanitaire empêchait les étudiants de se rendre dans les BU, « presque 63 % de nos dépenses ont concerné la documentation nativement électronique, contre 55 % en 2019 », ajoute-t-il.

Des espaces collaboratifs pour travailler en groupe

Ce mouvement de numérisation n’empêche pas les étudiants de continuer d’avoir besoin d’espaces de travail physiques. « De l’avis des étudiants eux-mêmes, il est plus motivant de s’y rendre. Le seul public que nous voyons moins depuis quelques années, c’est celui des chercheurs, qui ne venaient que pour consulter les collections aujourd’hui numériques pour la plupart », explique Nicolas Pinet. Conscientes que les étudiants ont désormais accès à distance à une abondante documentation, les BU se sont ainsi recentrées sur la conception d’espaces collaboratifs pour rester attractives. « Nos espaces de travail sont plus innovants et confortables. Nous travaillons d’ailleurs sur un grand projet de réhabilitation d’un bâtiment qui sera entièrement câblé, doté de salles de travail individuel et en groupe et accessible avec des amplitudes d’horaires plus importantes », indique-t-il.

Un constat que partage Audry Bettant, directeur des BU de l’Université de Perpignan, qui constate que l’usage du numérique ne fait pas diminuer la fréquentation des espaces. Dans cet établissement, les grands espaces traditionnels conçus pour travailler en silence ne sont d’ailleurs fréquentés qu’à 50 %, voire moins. « Ces grandes salles deviennent obsolètes et perdent leur intérêt au profit d’espaces de coworking équipés de matériels informatiques. Nos espaces collaboratifs, qui constituent 20 % du total, sont toujours pleins. Nous estimons qu’il faut au moins les doubler », assure-t-il.

Valorisation des patrimoines universitaires

Bien qu’ils ne concernent que les contenus tombés dans le domaine public, les services de numérisation innovent dans certaines bibliothèques. « À l’Université de Poitiers, nos bibliothèques virtuelles de documents numérisés contiennent des documents issus, ou non, de notre service commun de documentation ainsi qu’un fonds « florilège » où sont regroupés les contenus numérisés à la demande », explique Nicolas Pinet.

D’autres misent sur la numérisation patrimoniale de documents rares et précieux, qui représente toutefois un coût important et nécessite des partenariats scientifiques. La BULAC (bibliothèque universitaire des langues et civilisations) participe de façon régulière à ce type de programmes de numérisation : c’est le cas de sa bibliothèque numérique aréale qui s’enrichit de façon régulière depuis son ouverture en 2011. Pour faciliter la mise en œuvre de ces programmes de numérisation, « nous avons mis au point (avec la bibliothèque de Sciences Po et la bibliothèque Sainte-Geneviève) une nouvelle plateforme : NumaHOP, qui comprend un logiciel libre partageable avec toutes les bibliothèques ou institutions publiques devant gérer des programmes de numérisation de documents ou d’archives », indique Clotilde Monteiro, responsable de la mission communication institutionnelle. Les BU de Perpignan, par le biais d’initiatives prises par leurs étudiants, numérisent également du contenu patrimonial précieux. Officiellement lancée en 2017, la bibliothèque numérique patrimoniale vise ainsi à faire connaître des réserves de fonds anciens patrimoniaux peu connus et difficilement accessibles. « Ces collections sont aujourd’hui en accès libre pour un large public et contiennent des archives littéraires catalanes, des collections liées à l’histoire de l’université, des manuscrits datant du XVIIIe siècle… », explique Audry Bettant.

Quels nouveaux modèles économiques ?

Autre enjeu largement discuté au sein des BU : la science ouverte, qui veut que les contenus produits sur les fonds publics par des chercheurs soient disponibles gratuitement. « Il s’agit pour l’État de ne pas payer deux fois : la recherche elle-même et l’accès aux résultats de la recherche. Il faut non seulement que nous ayons des dispositifs de conservation de la production scientifique sur place mais également que nous protégions nos données de la recherche. Si la France ne se positionne pas sur cette question, ce sont les acteurs privés de l’édition qui le font, en y donnant un accès payant », pointe Audry Bettant.

Pour offrir des journaux, des archives, des ebooks dans toutes les langues extra-occidentales, la BULAC doit ainsi mener des négociations complexes et coûteuses auprès des éditeurs. C’est pourquoi elle soutient également « le développement de ressources en accès ouvert, à travers des modèles économiques novateurs qui permettent l’accès à des livres et des revues financées avec l’appui financier de différentes bibliothèques. En France, la plateforme OpenEdition est une très bonne illustration de ce mouvement », conclut Clotilde Monteiro.

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