Comment parer les dangers du tout numérique ?

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Pendant la crise du Covid-19, le passage réalisé dans l’urgence à l’enseignement à distance a bousculé certaines pratiques pédagogiques. Depuis, plusieurs questions s’imposent dans les débats entourant les enjeux de l’éducation de demain, dont celle des dangers du tout-numérique. Voici les moyens d’y faire face.

Plusieurs enseignants craignent que les relations avec leurs étudiants deviennent désincarnées si l’école à distance s’imposait davantage. Créant des distances avec les publics des établissements, cette situation pourrait également creuser les inégalités sociales, d’équipement et de contexte de travail. « Transmettre et bâtir avec les publics des connaissances requiert un contact direct. Les contextes d’apprentissage déliés des rapports humains ont donc créé une détresse sociale. Seuls les étudiants les mieux dotés ont profité de l’enseignement à distance pour construire d’autres aptitudes. L’enseignement ne peut donc pas, par nature, se prêter entièrement à la digitalisation », explique Guillaume Faburel, professeur à l’Institut d’Urbanisme de Lyon – Université Lumière Lyon 2.

Le tout numérique n’a pas sa place en France

Le tout numérique n’est de toute façon pas près de s’imposer dans le système scolaire en France car il existe des formes de régulation qui l’en empêchent. « Le rêve positiviste d’une école qui serait entièrement numérique fait face à la résistance des enseignants qui savent que ce qui se joue dans la relation physique maître-élève est infiniment supérieur à la transmission d’un cours », assure Antonin Cois, conseiller en stratégie et développement des organisations de l’ESS et des politiques publiques. La norme de l’école reste donc celle du présentiel car il s’agit d’« un lieu de développement de valeurs sociales indispensables à la construction d’une société démocratique ». Selon lui, la question pertinente à poser est plutôt celle de savoir si les investissements dans la transformation numérique des écoles sont bien positionnés. « Les investissements doivent poser la question du contenu pédagogique, être orientés vers les familles les moins dotées selon une logique de proportionnalité et, enfin, être accompagnés d’une formation quant à la capacité de les utiliser. »

Bien penser l’hybridation

Si le tout-numérique n’a pas la cote, l’hybridation est à retenir car elle potentialise certaines formes de créativité, « mais sous garantie d’équilibre (80 % en présentiel, 20 % à distance) », estime Guillaume Faburel. Un point de vue que partage Antonin Cois : « L’évolution des outils numériques permet d’exploiter pleinement les capacités documentaires, l’accès à des sources hors de portée de l’école et les capacités collaboratives favorisant l’intelligence collective. » L’hybridation aide aussi à repenser les frontières de l’école. La mise à disposition de robots de téléprésence par le ministère de l’Éducation nationale ou encore le programme éducatif Savanturiers, qui initie les élèves aux méthodes et concepts de divers champs d’investigation scientifiques grâce aux outils numériques, en sont des exemples. « Ces approches permettent d’abolir le temps et les frontières et d’utiliser le numérique pour enrichir les temps de présence à l’école », analyse Antonin Cois.

Respecter le « principe de parcimonie »

Du côté de l’usage que l’on fait du numérique éducatif, le principe de parcimonie doit primer. Les outils proposés doivent donc servir la conduite des objectifs de l’école. La société MOBiDYS, qui co-élabore avec des orthophonistes et des enseignants des livres numériques adaptés aux DYS, est un bon exemple d’usage parcimonieux du numérique. La solution s’inscrit en complémentarité avec les manuels scolaires physiques tout en ne perturbant pas la classe. « Puisqu’elle contribue à gommer les situations de handicap, elle permet également au professeur de se concentrer sur son métier, c’est-à-dire faire classe avec toute la classe », précise Antonin Cois.

Les EdTech ne doivent pas être hors-sol

En matière de pédagogie numérique, les enseignants doivent rester au centre de la conception des outils. « La régulation du marché doit être assurée par la force publique et les acteurs EdTech eux-mêmes afin que ces derniers puissent répondre aux enjeux éducatifs. Il s’agit de mobiliser tous les espaces pour faire se rencontrer différents acteurs de l’éducation et, ainsi, maintenir la liberté pédagogique des enseignants », souligne Antonin Cois. Il estime que l’un des moyens d’y parvenir serait de s’inspirer des modèles de l’économie sociale et solidaire en matière de gouvernance démocratique des organisations : « Plus une organisation mobilise l’expertise des parties prenantes auxquelles elle s’adresse, moins elle prend le risque de la déconnexion. »

S’appuyer sur les projets éducatifs locaux

Un usage citoyen du numérique implique de réduire les écarts de ressources. L’école peut s’appuyer sur des expertises croisées des acteurs de terrain afin d’avoir connaissance des difficultés existantes localement en matière d’équipement et de besoins numériques. « Il existe un cadre propice qui n’est jamais mobilisé : les projets éducatifs locaux. Ce sont des feuilles de route partagées et construites à l’échelle municipale avec l’association de tous les acteurs éducatifs. Il serait efficace d’en faire un axe obligatoire des projets éducatifs car c’est un levier permettant de résorber la fracture numérique et de faire vivre les alliances éducatives à l’échelle des territoires », conclut Antonin Cois.

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