« Demain, les formateurs ne pourront plus se passer de l’IA »

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Intelligence artificielle, intelligence collective, compétences transversales… La sphère de la formation doit composer avec nombre d’injonctions pour être, demain, à la hauteur des enjeux. À quoi ressemblera-t-elle en 2025 ? Les perspectives de Yann Gabay, fondateur de l’école Oreegami.

Quelles évolutions voyez-vous à l’œuvre dans le monde de la formation ?

Plusieurs métiers seront impactés par les nouvelles technologies, en particulier les métiers intellectuels de production de contenus, de réflexions, d’éléments d’informations. Les formateurs, les ingénieurs et les concepteurs pédagogiques sont donc en première ligne. S’ils peuvent encore se passer de l’intelligence artificielle aujourd’hui, ce ne sera plus le cas demain. En effet, ceux qui n’auront pas pris le virage de l’innovation et du digital seront moins productifs. On voit d’ailleurs que l’IA est déjà en train de bousculer l’exercice de ces métiers : certaines personnes se font assister par l’IA générative dans la production de programmes car il s’agit d’un outil fantastique, non pas pour produire des ressources à leur place, mais pour challenger ce qu’ils conçoivent et les aider à trouver de meilleures idées. Ces outils les aident également à mettre en forme les déroulés pédagogiques, à alterner les sessions de formation… Il est donc essentiel que les formateurs s’en saisissent.

Qu’est-ce que cela nécessite en termes d’outils ?

L’un des atouts de l’IA est la personnalisation de la relation avec les apprenants et la possibilité de mettre à leur disposition des assistants individualisés. Mais pour le faire, il faut arriver à circonscrire les modèles autour des contenus spécifiques que l’on souhaite délivrer, ce qui demande la mise en place de solutions technologiques plus évoluées que celles auxquelles nous avons accès, comme ChatGPT. Si on veut créer demain un espace personnel intégrant des contenus délivrés avec un assistant pédagogique (une IA pouvant répondre aux questions des élèves ou corriger des exercices), c’est faisable. En revanche, cela va avoir un coût en termes d’hébergement, que ce soit sur le cloud ou localement. Et il faut des compétences internes pour les déployer, mettre des règles en place… Comme c’est le cas lorsqu’on installe un ERP, il faut passer par des phases de test, de prototypage, avoir des équipes dédiées pour gérer le processus de déploiement en interne…

Dans ces conditions, comment le rôle de formateur évoluera-t-il ?

Cette évolution dépendra des individus et de leur appétence à aller chercher la nouveauté. En effet, dans toute courbe d’adoption de nouvelles technologies, il existe les « early adopters », les « early majority », les « late majority », les « laggards » (retardataires)… Les premiers sont dans une cadence d’adoption rapide, font un travail de veille permanent, s’approprient régulièrement des nouveautés… Ces concepteurs pédagogiques sauront offrir les meilleures expériences d’apprentissage. L’autre enjeu de l’IA pour les formateurs, c’est qu’elle perturbe la manière dont ils doivent former les élèves. Demain, il faut que les formateurs soient capables de mieux les accompagner. D’autre part, l’évaluation est à repenser. Les formateurs doivent faire en sorte qu’elle soit compatible avec l’utilisation de l’IA. Les QCM auto-administrés et les rapports d’analyse sont désuets : ils ne servent qu’à évaluer la capacité des élèves à utiliser l’IA (puisqu’ils peuvent y recourir pour ces évaluations).

Quelles typologies d’évaluation vous semble plus adéquates ?

France Compétences plébiscite les mises en situation professionnelles. L’IA permet justement de créer les conditions d’une évaluation en milieu professionnel, par exemple en mettant à disposition des interlocuteurs fictifs avec lesquels les apprenants peuvent interagir pour acquérir des compétences relationnelles. Les formateurs doivent aussi davantage miser sur le développement des compétences transversales afin d’aider les élèves à mettre en œuvre leur propre intelligence. L’enjeu est de former les apprenants à la question de l’acquisition continue de nouvelles compétences, plus qu’aux compétences elles-mêmes. De la même manière, le mot « cours » doit être réinventé : l’heure est plutôt à la création des conditions qui permettent aux élèves d’expérimenter ce qu’ils ont appris, d’hybrider les modèles avec une partie des apprentissages qui se déroulerait en e-learning, une autre qui serait dédiée à des études de cas pratiques en présentiel et une troisième qui serait inspirationnelle, c’est-à-dire qui ferait intervenir un expert dans une masterclass.

Au-delà des technologies, quels outils les formateurs urgemment adopter ?

Il est certain que les outils pédagogiques physiques vont eux aussi évoluer. À l’image de la fresque du climat, d’autres fresques se sont déjà répandues dans les domaines de la finance, du numérique… Les formateurs ont tout à gagner à s’en inspirer pour développer la compétence de la facilitation, de l’animation de groupes d’apprenants différents… Il est possible de le faire en présentiel avec des post-it, des jeux de cartes, des plateaux, des murs d’images… Ou à distance avec des outils comme Mural, qui permet de travailler ensemble sur un même mur d’images. Ces outils, qui ne sont utilisés que par 5 % de formateurs, deviendront demain indispensables. Les espaces d’apprentissage seront également amenés à être repensés comme des lieux d’intelligence collaborative. Les salles doivent désormais être ouvertes, modulables, intégrer des outils collaboratifs, permettre aux personnes de se déplacer, discuter, s’impliquer dans des activités collectives.

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