« Il faut répondre au sentiment d’isolement des enseignants »

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Malgré les nombreuses réformes du système éducatif français, aucune ne s’est attaquée au sentiment d’isolement des enseignants français, qui doivent être mieux formés pour affronter des situations scolaires de plus en plus complexes. C’est l’une des conclusions d’un rapport réalisé par Terra Nova et Ecolhuma. Les éclairages de Florence Rizzo, co-fondatrice d’Ecolhuma.

Votre rapport publié en novembre 2023 souligne « l’urgence d’une grande réforme de la formation continue des enseignants ». Quelles en sont les grandes lignes ?

Nous avons réalisé ce rapport avec pour objectif d’exposer concrètement ce qui peut constituer une base de réforme de la politique publique de formation continue des enseignants. Les mesures que nous avons imaginées entendent répondre à l’immense sentiment d’isolement qui touche la plupart des enseignants. Mais également au fait qu’ils soient très peu formés : ils le sont 10 fois moins que les enseignants de Singapour et 13 fois moins que les fonctionnaires du ministère de la Justice. De notre point de vue, il faut passer de 18 heures de formation obligatoire par an, qui est le volume moyen actuel dans le premier et le second degré, à 100 heures. Au-delà de cet aspect quantitatif, nous estimons qu’une bascule doit être faite : d’une logique de formation continue pensée par le ministère de l’Éducation, il faudrait passer à une approche globale de développement professionnel continu qui soit ancrée dans les besoins réels des enseignants pour rompre leur isolement.

Comment s’articulerait cette base de réforme ?

Concrètement, le droit à la formation de 100 heures par an serait réparti en 3 temps : un socle commun national pour assurer la cohérence de la politique de formation (18 heures obligatoires étendues au second degré), un temps décidé entre les équipes au sein des établissements, et un temps pour reconnaître l’autoformation au cœur de la pratique actuelle des enseignants. Le second bloc du triptyque viserait à assurer une formation de proximité en établissement qui soit collective. Elle permettrait d’insuffler une culture de travail en équipe au sein de l’établissement. Quant à la question de l’autoformation des enseignants, nous estimons qu’elle doit être reconnue puisque selon un baromètre que nous avons mené, 80 % des pratiques de développement professionnel des enseignants relèvent de leur initiative personnelle, contre seulement 20 % de formation institutionnelle. Ils s’autoforment en consultant des plateformes numériques comme etreprof.fr, qui met à disposition 3000 contenus sur plusieurs thématiques.

En matière de temps de formation collectifs en situation de travail, quelles mesures concrètes proposez-vous ?

À l’étranger, par exemple aux Pays-Bas, il existe un programme consistant à ritualiser des pratiques collaboratives dont il est possible de s’inspirer. L’enjeu est de développer une culture de collaboration à des fins pédagogiques : en observant les pratiques des collègues, en co-construisant des leçons à plusieurs… Ce travail, très peu présent en France, doit être ritualisé afin qu’il ne soit pas l’apanage de celles et ceux qui ont la volonté de le faire de manière spontanée et ponctuelle. Deux heures hebdomadaires seraient une bonne base pour permettre aux enseignants de construire des pratiques à plusieurs. Afin de donner aux professionnels le temps nécessaire pour le faire, il est par exemple possible de généraliser à tous les établissements de France les 18 demi-journées mises en place en REP+. Par an, cela représente 54 heures, une durée qui peut permettre à l’équipe pédagogique de chaque établissement de partager ses expériences et formations, de progresser ensemble, de définir les besoins et priorités de l’établissement et de chaque enseignant.

Selon vous, sur quels enjeux majeurs les enseignants souhaitent-ils être accompagnés ?

L’accueil des enfants à besoins particuliers est un enjeu massif : la loi du 11 février 2005 sur l’égalité des droits et des chances, qui prévoit la scolarisation des enfants, adolescents ou adultes handicapés en milieu ordinaire, n’a pas été accompagnée d’une mise en place de moyens suffisants pour permettre aux enseignants de réaliser correctement leur mission. C’est l’un des premiers besoins qui remonte quand on sonde les besoins de la communauté. L’idée est ici d’écouter et de soutenir moralement les enseignants, puis de mettre à disposition des solutions pédagogiques pour assurer la meilleure éducation possible à ces enfants. L’autre sujet est la gestion des élèves à comportement perturbateur. En éducation prioritaire, ce sont 15 minutes de cours par heure qui sont perdues pour des questions d’indiscipline. Il existe donc un sujet d’optimisation des heures de cours. Nous développons d’ailleurs sur ce volet des parcours en autoformation qui proposent des guides pratiques, des fiches-outils pour aider les enseignants à différencier leur pédagogie, écouter les besoins de leurs élèves, accueillir les émotions et les réguler. Il existe, enfin, un vrai sujet autour de la santé mentale de la communauté éducative : un élève sur quatre est en situation de stress et 50 % des enseignants sont en situation d’épuisement émotionnel. Là encore, la formation continue doit permettre d’accompagner les enseignants, tout au long de leur carrière, face à ces défis quotidiens.

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