« Le rôle de l’enseignant évolue vers celui de facilitateur »

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Comme l’ensemble de sa profession, Latifa Berkous, ingénieure pédagogique à l’École Polytechnique, a dû former dans l’urgence des centaines d’enseignants sur les nouveaux outils numériques durant la crise du Covid-19. Une expérience intense mais constructive qui lui a permis d’affiner sa vision du cours parfait. Témoignages.  

 Quel est votre rôle à l’École Polytechnique ?

J’ai rejoint l’École Polytechnique il y a cinq ans afin de prendre en charge l’ingénierie des MOOC et d’aider les enseignants à en produire. Mes missions se sont ensuite élargies à l’accompagnement pédagogique. Le métier d’ingénieur pédagogique étant encore nouveau, mon travail porte sur la sensibilisation des enseignants aux nouvelles manières de modeler un cours, via des travaux dirigés, des séminaires… La difficulté, c’est de réussir à déstructurer un cours, sans pour autant heurter l’expertise de l’enseignant. C’est également lever les résistances au changement. Aujourd’hui, je suis la seule ingénieure pédagogique à l’École Polytechnique. Dans quelques mois, nous serons trois.

Comment la crise du Covid-19 a-t-elle impacté l’ingénierie des cours ?

Avant la crise du Covid-19, lorsque les cours se déroulaient 100 % en présentiel, les portes des classes étaient fermées, les enseignements se partageaient dans l’intimité d’une classe et on pouvait uniquement entrevoir les cours par le biais d’un petit hublot. La crise sanitaire a bousculé ce cadre. Elle a généré un véritable changement de posture pour les enseignants, qui ont été surpris de devoir « faire autrement ». À l’École Polytechnique, nous étions prêts pour basculer nos cours à distance. Il nous a fallu 4 ou 5 jours pour développer un code afin de transformer tous les créneaux de cours en créneaux Zoom, pour intégrer les futurs replays des cours dans notre plateforme LMS.

Comment avez-vous formé les enseignants aux nouvelles modalités d’enseignement ?

La première semaine du confinement a été consacrée à la formation des enseignants, à raison de 3 à 4 webinaires par jour. Nous les avons aidés à transposer leurs cours à distance, à manipuler les logiciels pédagogiques, à favoriser l’interactivité sur Moodle, Wooclap… La plus grande difficulté a été d’intervenir dans l’urgence, même si je suis convaincue que c’est dans ces situations qu’on impulse le mieux les changements. Au fil des mois, nous avons renforcé nos efforts de formation avec la mise en ligne de capsules vidéo qui portaient sur des sujets récurrents afin que chaque question posée serve à l’ensemble de la communauté enseignante de Polytechnique.

Quid de l’évaluation des étudiants ?

La question de l’évaluation à distance cristallise beaucoup d’anxiété chez les étudiants. Elle offre pourtant beaucoup d’avantages, par exemple lorsqu’un enseignant doit évaluer un groupe hétérogène ou géographiquement éclaté. Pour faire des évaluations au plus juste, nous avons opté pour plusieurs stratégies dont un jeu de questions aléatoires et des soutenances orales. Nous n’avons pas retenu de solution de proctoring, que nous trouvons intrusive pour les étudiants. Nous ne nous sentions pas suffisamment matures pour adresser les enjeux de RGPD que ces solutions soulèvent. Dès que nous avons pu, nous sommes revenus sur des évaluations classiques, en présentiel.

Quels enseignements tirez-vous de cette crise ?

Lorsque nous aurons digéré cette crise et retrouvé de manière physique nos collègues de travail et nos étudiants, nous pourrons conjuguer de manière équilibrée les différentes modalités pédagogiques. Le panel d’outils pédagogiques est désormais riche, nous savons les déployer à grande échelle et nous n’avons plus à convaincre de leur efficacité. Cette période a interrogé le rôle de l’enseignant et nous allons également devoir mener une réflexion sur ce point. L’enseignant sur une estrade qui dispense de manière magistrale son cours face à des étudiants qui l’absorbe, c’est terminé. Maintenant, les situations sont moins binaires et cette crise nous encourage à travailler sur l’expérience de formation.

À quoi ressemble, selon vous, le cours parfait ?

Un cours parfait, c’est un cours qui favorise les interactions directes entre un enseignant et un étudiant. Ce n’est donc pas un cours magistral comme on le définit aujourd’hui ! Le cours parfait se base sur des modalités pédagogiques comme la co-construction, le social learning, le travail en petits groupes, les jeux par simulation… Durant ce cours, l’enseignant n’est d’ailleurs pas obligé d’intervenir. Sa mission peut être d’observer les synergies entre les étudiants. Son rôle peut donc évoluer de pourvoyeur de connaissances à facilitateur. Il peut également laisser ses étudiants se confronter au contenu avant de les guider. Pour concevoir ce cours parfait, il faut donc faire appel à sa créativité.

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