« L’offensive des GAFAM va challenger les start-up de l’EdTech »

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Avec 430 sociétés à son actif, l’univers de l’EdTech est foisonnant ! Si la crise du Covid-19 a mis en lumière les start-up du secteur, elle les a également privés de capitaux leur permettant d’accélérer. Dans une étude, l’institut Xerfi a décrypté l’impact de la crise sanitaire sur le marché et s’est penché sur ses perspectives à l’horizon 2023. Le décodage d’Aurélien Vernet, chargé d’études.

La crise du Covid-19 a mis en lumière un bon nombre de sociétés de l’EdTech. À quel point ont-elles surfé sur ce contexte ?

 La crise sanitaire a donné une belle visibilité aux sociétés de l’EdTech. Pendant le confinement du printemps 2020, où les cours étaient dispensés à distance, elles se sont présentées comme des recours crédibles à la continuité pédagogique. Par ailleurs, le déploiement du site « Solidarités EdTech » leur a permis de rayonner largement. Pour certains acteurs comme Lalilo, la crise a généré tellement d’audience qu’ils ont dû investir dans de nouveaux serveurs. D’après l’association EdTechFrance, plus d’un tiers d’acteurs de ce marché ont doublé leur base d’utilisateurs suite à la crise. Pour autant, cette visibilité ne s’est pas forcément traduite en augmentation du chiffre d’affaires. On estime que seule la moitié des sociétés ont fait progresser leur chiffre d’affaires de 20 %. Or, c’est un point sur lequel les investisseurs du secteur se montrent évidemment attentifs. Par ailleurs, la crise a également rendu l’internationalisation des sociétés plus complexes, par manque de capitaux.

Les investisseurs seront-ils plus exigeants vis-à-vis des sociétés de l’EdTech en 2021 ?

Ces prochains mois, les investisseurs pourraient se montrer prudents. La plupart des start-up de l’éducation ont abordé la crise en étant sous-capitalisées. On anticipe donc que de nombreuses EdTech vont avoir des problèmes de trésorerie d’ici la sortie de la crise. En France, c’est un marché estimé à environ 650 millions d’euros mais que les investisseurs jugent risqué : la majorité des sociétés sont très jeunes, les modèles économiques ne sont pas encore éprouvés…  La raréfaction des capitaux accentue de facto le phénomène « d’equity gap » (ou « trou de financement ») pour les EdTech en manque de liquidités pour se développer et ainsi se rapprocher du point mort, une condition sine qua non pour intéresser les acteurs du private equity. Si elles souhaitent accélérer ces prochains mois, les sociétés de l’EdTech ont donc tout intérêt à se tourner vers les programmes d’incubation des écoles, notamment de commerce, plutôt que vers les acteurs du capital risque.

Quels obstacles perdurent sur le marché ?

 Les établissements scolaires constituent un premier frein. Leurs budgets sont limités, ils priorisent d’autres sujets comme la réduction du nombre d’élèves par classe et, enfin, les enseignants ne sont pas formés au caractère hybride de l’enseignement numérique. Les sociétés de l’EdTech peinent ainsi à percer sur le segment du K12 (enseignement primaire et secondaire), qui se caractérise par des rigidités administratives et par une réticence du corps enseignant. Cette tendance tend toutefois à s’estomper. Le marché montre des signes d’ouverture. Le programme « Territoires Numériques Éducatifs » (TNE) lancé en septembre 2020 va dans le bon sens et fait la part belle aux sociétés de l’EdTech. Enfin, sur le marché des particuliers, quelques freins perdurent également : ils portent essentiellement sur les modèles d’affaires des sociétés, souvent basés sur la vente de prestations ou d’abonnements. Or, les particuliers n’étant pas tous disposer à payer pour accéder à un service.

Comment se porte la filière EdTech française à l’échelle internationale ?

 La filière EdTech française accuse un certain retard vis-à-vis de plusieurs pays dont les États-Unis et La Chine. C’est en partie dû à la taille de son marché, qui n’est pas la même. Toutefois, c’est loin d’être la seule raison. En France, 60 % des sociétés ont été créées il y a moins de cinq ans. La filière s’est donc structurée en 2016, bien plus tardivement que dans certains autres pays. Il a également fallu attendre 2017 pour voir des fonds d’investissement dédiés à l’EdTech. Educapital et Brighteye Ventures ont par exemple été lancés en fin d’année 2017. Résultat : les montants investis dans la filière française – 200 millions d’euros en 2018 – sont encore minces au regard de ceux investis aux États-Unis – 2 milliards – et en Chine – 4,5 milliards. Aujourd’hui, on estime à seulement 10 % la proportion d’EdTech françaises à être présentes à l’étranger. Puisque les effets d’expérience commencent à jouer, la percée de la filière française sur la scène internationale pourrait toutefois devenir moins timide au fil des années.

Quel avenir pour la filière EdTech ?

Plusieurs tendances vont dessiner le paysage de la filière EdTech d’ici 2023. D’abord les opportunités : l’intérêt croissant des écoles et des entreprises qui n’ont pas terminé leur transformation numérique, le soutien de l’écosystème de la FrenchTech, l’accroissement de la population des « Digital Natives » qui seront davantage ouverts aux nouveaux modes d’apprentissage. Ensuite, les menaces : la difficulté d’accès aux financements qui a été complexifiée avec la crise, l’offensive des GAFAM dans le secteur de l’éducation qui va challenger les start-up. En prenant des parts de marché avec la plateforme « Enseigner depuis chez vous » pour Google et « Windows Education » pour Microsoft, ces grands groupes pourraient fragiliser certaines start-up. Ensuite, le scénario le plus probable est celui d’une consolidation accélérée sous la férule de leaders. Elle est déjà l’œuvre avec Educlever qui s’est rapproché de l’éditeur Orthodidacte et le groupe Hachette qui a mis la main sur lelivrescolaire.fr.

 

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