« Se saisir des outils dont on dispose et en détourner l’usage à des fins pédagogiques »

Pinterest LinkedIn Tumblr +

Après deux mois d’été, il est forcément plus compliqué de remobiliser des élèves en classe. Dans ce contexte, comment les enseignants peuvent-ils se montrer plus créatifs dès les premiers jours de la rentrée ? Pour Lucie Dhorne, formatrice et lauréate de trois prix d’innovation pédagogique, la méthode infaillible est de savoir se saisir des outils de son environnement pour susciter l’adhésion.

Comment définissez-vous la « créativité pédagogique » ?

C’est la capacité de converger dans la divergence. Concrètement, l’enseignant doit poser une problématique, par exemple la manière avec laquelle il peut animer une classe de 6e pour donner un cours de français. Il identifie ensuite les idées divergentes (c’est-à-dire les outils pédagogiques comme la méthode interrogative ou expérientielle) permettant d’animer sa classe afin de les faire converger vers quelque chose d’innovant. Il peut ensuite réfléchir à ses objectifs d’apprentissage. Si c’est la mémorisation, il peut adopter l’approche du quizz. Si c’est la compréhension, celle des textes à trou. Ce sont là des pensées divergentes. Dans un second temps, il doit réfléchir à la manière dont il peut susciter l’intérêt de sa classe. Il peut se pencher sur les codes de narration appréciés par les jeunes, en allant voir les contenus qui les intéressent sur les réseaux sociaux. L’idée est qu’il explore à la fois son environnement, pour identifier les bons outils, et celui de son apprenant, pour réutiliser ses codes.

Avez-vous des exemples d’enseignants ayant fait preuve de créativité ?

L’idée est de se saisir des outils dont on dispose et d’en détourner l’usage à des fins pédagogiques et créatives. Je connais un enseignant de mathématiques qui a monté un jeu de cartes Magic. Il en a fait un jeu qui permet de connaître les mathématiciens célèbres et leurs grands théorèmes. Le professeur s’appuie donc à la fois sur des pratiques faisant partie de l’environnement de son apprenant et sur ses propres compétences pédagogiques pour créer une expérience d’apprentissage attirante. L’autre bonne idée, c’est que les élèves peuvent gagner des cartes lorsqu’ils débloquent des problèmes pendant les séquences pédagogiques tout au long de l’année. Cette notion de collection de cartes suscite l’engagement des élèves tout en leur permettant d’acquérir des connaissances. Le Jenga, qui est un jeu d’adresse consistant à positionner des blocs sans faire tomber la tour, peut aussi être utilisé en classe dans un cadre pédagogique, en y scotchant des questions par exemple.

Les enseignants peuvent-ils s’inspirer de ces exemples ?

Ces pratiques peuvent être transposées à tous les outils de notre environnement, qui sont autant d’outils potentiels de créativité. Il faut toutefois comprendre que ce sont là des exemples non-universels : ils n’ont de valeur qu’à une époque donnée et dans une configuration sociétale donnée. Ce qui est universel, c’est la capacité de générer des idées au service d’une pratique pédagogique pouvant susciter l’adhésion de la classe. Il est donc très important de mettre la loupe sur la société et les usages des apprenants pour ne pas tomber dans le « has-been ».

L’apprentissage synchrone est-il le meilleur moyen de susciter l’adhésion de façon créative ?

Non. Et je ne suis pas d’accord avec le postulat selon lequel l’e-learning serait mort et qu’il plongerait les apprenants dans l’isolement. Les jeunes étant parfaitement capables de passer plusieurs heures devant Netflix ou YouTube. Durant mon parcours, j’ai conçu, pour une entreprise de la Tech, un parcours de formation sur la cyber-sécurité pour une grande cohorte d’apprenants. La modalité synchrone était donc exclue. Et se contenter de faire passer des slides est une pratique obsolète. Nous avons ainsi misé sur la scénarisation, en adoptant notamment les codes du cinéma et du storytelling. Ce qui plaît et engage les jeunes, c’est aussi l’interactivité et le fait d’avoir l’impression que l’expérience se déroule dans un lieu qui leur est familier. Concrètement, pour réaliser des contenus qui ne soient pas hors sol, nous avons filmé des scènes dans des locaux d’entreprise avec de vrais salariés et des équipes qui travaillent dans le cinéma. Ce module a obtenu un taux d’engagement de plus de 90 %.

Share.