« J’impose à mes étudiants d’utiliser ChatGPT »

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Défendant un usage éclairé et raisonné du numérique, Guy Mamou-Mani, auteur de l’ouvrage Pour un numérique humain (Éditions Hermann, 2024) et professeur en école de commerce, considère que mettre l’école à niveau fait partie des conditions essentielles pour une transformation numérique réussie. À condition que les enseignants s’engagent dans cette révolution.

Vous soulignez que l’apprentissage du numérique à l’école suppose une révolution scolaire dans laquelle les professeurs doivent s’engager. Comment peuvent-ils le faire ?

Par la volonté et la formation. Je considère qu’en France, on a beaucoup trop négligé les moyens mis au service de la formation des enseignants. Par exemple, la suppression des écoles normales est une catastrophe. À l’heure de l’arrivée des IA génératives, les usages de ChatGPT devraient par exemple être enseignés aux professeurs afin qu’ils puissent être acteurs de la transformation numérique de l’école. Je pense d’ailleurs que le rejet des technologies chez certains enseignants est issu d’une mauvaise formation sur ces questions. De la même manière, les établissements qui, comme Sciences Po, interdisent l’usage d’outils tels que ChatGPT devraient davantage se préoccuper de la formation de leurs enseignants que de l’utilisation de ces outils à des fins de triche. C’est aux enseignants de réadapter le contenu de leurs examens afin que ces derniers ne soient pas résolvables par ChatGPT ! C’est important car les outils modernes servent à améliorer fortement la qualité des enseignements et des apprentissages.

En tant que professeur en école de commerce, encouragez-vous l’usage de ChatGPT en classe ?

J’impose à mes étudiants d’utiliser ChatGPT dans le cadre de projets de création de start-up. Cela leur permet un gain de temps considérable sur certains aspects du projet comme les études de marché. Il est possible de décliner cette pratique à plusieurs autres disciplines. Mais à condition que les professeurs et les élèves soient familiarisés à l’outil afin de pouvoir l’utiliser de façon critique (en sachant repérer les erreurs formulées par les IA) et méthodique (en établissant un plan de travail avant d’y recourir). À l’inverse, lorsque ces outils sont utilisés sans formation, les étudiants et les professeurs leur sont alors soumis. Il faut donc créer les conditions qui permettent que ces nouvelles technologies soient déployées comme des outils d’enrichissement, d’intelligence augmentée. Il en va de même pour l’usage des smartphones en classe, qui ne devrait pas être interdit. Plusieurs EdTech françaises comme ModCo, qui sécurise l’usage des smartphones en classe à des fins pédagogiques, permettent d’ailleurs une utilisation raisonnée des outils numériques dans un cadre scolaire.

Vous estimez également que les élèves devraient être initiés très tôt à la culture numérique…

D’abord, je rappelle que 13 millions de Français sont touchés par la fracture numérique. Il y a trois raisons à cela : le manque d’accès à Internet dans certains territoires, le manque de moyens pour acquérir des équipements et, enfin, l’illectronisme. Il faut donc défendre un droit à l’internet au même titre qu’un droit à l’eau ou à l’électricité, encourager les initiatives associatives comme celle d’EMMAÜS Connect, qui distribue des smartphones aux personnes en précarité sociale et numérique, et miser sur l’école pour lutter contre l’illectronisme. La formation dès le plus jeune âge à l’usage du numérique, mais aussi aux notions de donnée et d’algorithme est essentielle. En effet, savoir ce qu’est une donnée, la valeur qu’elle possède, l’importance qu’elle revêt dans l’écosystème numérique, la façon dont on peut l’exploiter, c’est non seulement comprendre ce qui se passe derrière l’écran, mais aussi maîtriser son « existence numérique ».

Comment l’école française peut-elle réussir à lutter contre l’illectronisme ?

Je pense que la France a tout à gagner à s’inspirer de l’exemple de l’Australie. Ce pays encourage le développement de partenariats entre les écoles et les acteurs de l’écosystème numérique, les associations, les ONG mais aussi les entreprises commerciales. Il est évident que lorsqu’une entreprise du numérique propose ses services à l’Éducation nationale, c’est pour en tirer un profit. Mais il est également possible d’envisager cela comme une opération « gagnant-gagnant » puisque les élèves et les enseignants tirent, eux aussi, profit d’une collaboration avec des spécialistes du numérique. D’autant que ces entreprises ne sont pas toutes des géants américains. D’ailleurs, des structures françaises travaillent déjà, dans les écoles, aux côtés des enseignants et des élèves, à l’image d’Hachette, avec le service Educadhoc, qui offre des ressources pédagogiques aux professeurs, Studytracks, une application de chansons didactiques, ou encore Maskott et Tactileo, son cloud pédagogique.

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