« Créer une instance de pilotage pour rendre la gouvernance plus efficiente », Sylvanie Duval, AFINEF

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Quatre ans après la crise du Covid-19, la filière EdTech reste encore trop fragmentée et mériterait d’être consolidée. Dans ce cadre, cinq acteurs du numérique et de la formation, dont Numeum et EdTech France, ont dévoilé 12 propositions pour accélérer la formation par le numérique. Les éclairages de Sylvanie Duval, déléguée générale de l’AFINEF.

Quel est le but du livre blanc « Les technologies au service de l’éducation » dont l’AFINEF est co-auteure ?

Ce livre blanc nous a permis d’apporter nos contributions et de rassembler tous les ressentis de l’écosystème. Les personnes qui ont été consultées dans le cadre de l’élaboration de ce livre blanc sont des membres d’associations EdTech, des entrepreneurs, des institutionnels… C’est la première fois que nous portons collectivement un « message filière » en nous fédérant, mais tout en gardant nos particularités. Ainsi, certaines propositions portées depuis longtemps par l’AFINEF figurent dans ce livre blanc. Globalement, le but de ce dernier est d’émettre des propositions concrètes pour permettre à la filière d’enfin décoller. C’est qui est en jeu, c’est non seulement la pérennité des start-up mais également la qualité du système éducatif français.

La première proposition concerne l’acculturation des enseignants au numérique. Pourquoi insistez-vous sur la formation initiale ?

En formation continue, des organismes comme Réseau Canopé accompagnent les enseignants aux usages du numérique éducatif. C’est bien sûr positif, mais comme ils n’ont pas été acculturés dès leur formation initiale, cela revient à leur demander de changer leurs pratiques professionnelles. Il est donc important de capitaliser sur la formation initiale. Plus largement, si l’État fournit des efforts pour stimuler l’offre via des dispositifs qui encouragent l’innovation, il faut aussi qu’il puisse stimuler la demande. En ne le faisant pas, il crée des entreprises innovantes qui proposent des ressources de qualité mais qui sont incapables de passer à l’échelle. Or, il n’est possible de stimuler la demande qu’en formant correctement les premiers utilisateurs du numérique éducatif, à savoir les enseignants. Ces derniers doivent ainsi acquérir la capacité de construire des parcours pédagogiques avec le numérique. C’est important parce que nous n’avons pas, en France, d’enseignants reconnus comme ayant des compétences en ingénierie pédagogique incluant le numérique.

L’une de vos mesures phares concerne le déploiement d’un « chèque EdTech » sur le modèle du « Pass culture ». En quoi cette démarche consiste-t-elle ?

L’utilisateur final des EdTech est l’enseignant. Mais le payeur est la collectivité, qui doit travailler en lien avec son projet éducatif et celui de l’académie. Dans ce contexte, un enseignant qui souhaite bénéficier d’une ressource s’engage dans un parcours du combattant pour pouvoir l’acquérir. Un « chèque EdTech » qui se trouverait directement dans les mains de l’enseignant pourrait lui permettre, de façon autonome, de s’équiper. Il faut rappeler qu’un dispositif de ce type, le « compte ressources », est en train d’être mis en œuvre par le ministère et nous en sommes satisfaits. Il faut maintenant accélérer ce processus car si les professeurs formés n’ont pas les moyens d’acquérir les solutions une fois convaincus de leur utilité, la formation n’aura alors servi à rien. À l’heure actuelle, nous ne connaissons pas encore les modalités de ce compte. Nous espérons toutefois que le budget associé sera suffisant pour les enseignants.

À combien estimez-vous ce budget ?

Il est compliqué de définir un budget pour chaque enseignant mais l’AFINEF estime qu’une enveloppe de 200 euros par an et par enseignant pourrait être un bon démarrage. Idéalement, le budget global serait ainsi doté financièrement (et abondé par les collectivités) d’une enveloppe de 200 millions d’euros à l’amorçage, avec une perspective à 5 ans de 600 millions d’euros. Nous savons qu’il faut prendre en considération les réalités budgétaires et que les perspectives économiques ne sont pas favorables. Mais l’enjeu de notre compétitivité éducative à l’international doit rester au centre de nos préoccupations. Cela ne passe pas uniquement par le numérique, mais il est important que les enseignants ne soient pas déconnectés des pratiques actuelles, des usages de leurs élèves… D’autre part, les collectivités gagneraient à réaliser des dépenses plus efficaces. Plutôt que de déployer des équipements (ordinateurs ou tablettes) qui, parfois, restent inutilisés, elles devraient les adosser à un plan global d’utilisation avec des ressources associées.

Vous prônez également une meilleure gouvernance de la filière…

Nous souhaitons collectivement qu’une vision de l’éducation ancrée dans le long terme puisse voir le jour. Cela peut se concrétiser via la création d’une instance de pilotage multi-acteurs, afin de rendre la gouvernance du numérique éducatif plus efficiente. Dans le livre blanc, nous formulons ainsi l’idée d’un « Haut-commissariat » chargé de la mise en œuvre des ambitions françaises en matière de formation par le numérique. Cette instance coordonnerait l’action des ministères concernés par les enjeux de formation tout au long de la vie : le ministère de l’Éducation nationale, le ministère de l’Économie et des Finances, mais aussi la ministre déléguée chargée des Collectivités territoriales ou encore, pour les questions d’inclusion et d’accessibilité, la ministre déléguée des personnes handicapées. Le but est ainsi de construire une gouvernance partagée et une vision commune au service d’une pérennisation des usages sur l’ensemble du territoire.

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